Conservatoire d'espaces naturels de Corse

patrimoine naturel et culturel de la Corse

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De l’embouchure du Rizzanèse à la chapelle Saint Jean Baptiste de Grossa

Sortie Découverte - Le 25/01/2009 - Lieu : Dans le Sartenais

L’ire de la dernière tempête semblait s’apaiser malgré les derniers soubresauts qui meurtrissaient les roches porphyres de Capu Laurosu de tonitruantes gifles iodées. Le mauvais temps avait dissuadé plus d’un adhérent d’oser entreprendre son pèlerinage mensuel et comme à Waterloo au soir de la bataille, seul le dernier carré faisait corps autour de son Président et de Richard Destandau animateur de l’association des Amis du Parc.
Les grognards firent mouvement vers l’embouchure du Rizzanese, sur sa rive droite, face au petit aéroport de Tavaria et au début de l’immense plage de Portigliolo. Là, juché sur un oppidum, impassible sous l’agression de la même bise endurée à la Bérézina, la Garde fut informée que l’association y conduisait ses recherches sur une zone Natura 2000 et notamment sur deux thèmes, touchant la flore au titre de la buglosse crépue et la faune à propos de la tortue cistude. (19,cf. les Espèces phares sur ce même site). Les Amis du Parc, au-delà de leurs actions de protection et d’études scientifiques, concourent à la sensibilisation des jeunes et moins jeunes sur la fragilité et l’importance de ce milieu.
Par ailleurs, une étude est en cours visant à faire un état des lieux de l’embouchure du fleuve avant que le barrage construit en amont n’en vienne bouleverser l’écosystème. Ce « point zéro » permettra de négocier ultérieurement avec E.D.F. des mesures compensatoires.
Ce projet, porté par le Conservatoire du Littoral, se décline en une série d’observations hydrologiques, faunistiques et floristiques conduisant à établir l’état écologique actuel et permettra d’envisager tous les scenarii possibles sur la zone humide, consécutifs à la mise en haut du barrage.
Richard nous apprit que ce fleuve (19,qui adoucit l’amertume du Valinco avec la Taravo et le Baraci), dont le cours à une longueur d’environ 53 kilomètres est celui qui a le plus grand bassin versant méridional. Il nous fit remarquer que son embouchure avait déjà modifié sa trajectoire finale depuis les années 1970 et débouchait à l’époque tout au sud de l’immense plage de Portigliolo. Ce bouleversement étant probablement dû aux travaux entrepris à l’époque pour la construction de l’aéroport. L’ancien cours est devenu une zone humide qui peut s’ouvrir néanmoins en cas de crue, comme elle le fit lors des évènements climatiques de 1993.
Richard revint quelques instants sur la présence d’anchusa crispa, plante endémique corso-sarde et localisée spécifiquement dans cette zone (19,ainsi que dans la région de Porto-Vecchio). Cette plante relictuelle inféodée à ce milieu dunaire est menacée de disparition notamment par le piétinement et la circulation automobile. L’association y mène des opérations de recensement, d’information et de protection, par la pose de clôtures, depuis nombre d’années.
L’autre « vedette » locale est sans conteste notre amie la tortue cistude. Il faut savoir que c’est l’un des reptiles qui a régressé le plus en Europe ces trente dernières années consécutivement à l’amenuisement des zones humides. L’association l’étudie depuis l’année 2002 et mène des campagnes de capture, marquage, recapture. Plus de trois cent cinquante furent suivies par télémétrie et permirent d’appréhender leur zone d’hibernation et de ponte. Ainsi, les Amis du Parc purent en collaboration avec les services de l’Equipement, aménager la traversée de la départementale 121 en installant un « tortueduc » qui protège nos sympathiques reptiles des dangers de la circulation automobile.
Richard souligna par ailleurs la nouvelle menace représentée par le lâcher inconsidéré dans la nature, de tortues de Floride que l’on importe sous nos latitudes depuis les années 1960. Cette invasion biologique est d’autant plus dangereuse que l’espèce ne connait pas de facteurs limitant. D’un poids et d’une ponte quatre fois supérieurs, occupant la même niche écologique, les nouveaux arrivants risquent de mener à l’extinction de l’espèce autochtone, c’est pourquoi les Amis du Parc ont entrepris une politique de suivi des intruses qui devrait conduire à leur éradication, celle-ci étant conditionnée également à une sensibilisation du grand public sur le danger des animaux de compagnie exogènes.

Bien que passionnée par les propos de l’intervenant, la Garde apprécia néanmoins la trêve roborative et conviviale, dans un local que la municipalité de Propriano mit à disposition des braves.

Le bivouac achevé, c’est dans un ordre impeccable que les troupes manœuvrèrent vers la commune de Grossa sous les ordres du Maréchal Francis Pomponi, dont les nombreux faits d’armes avec l’association sont gravés dans le marbre de notre reconnaissance.
Chemin faisant, nous prîmes position au col di U Poggio, d’où la vue sur le champ de bataille de Natura 2000 est imprenable, pour un dernier rappel des glorieux engagements de la Garde Amicale.
Par une progression savante et précautionneuse, nous parvînmes sans encombre sur les hauteurs dominant l’ancienne église romane San Ghjuvan Battista de Grossa. En éclaireur, nous y attendait déjà monsieur Mondoloni, trésorier de l’association pour la sauvegarde de l’édifice.
Celui-ci, posé au creux d’un vallon, vraisemblablement ancien carrefour des chemins ancestraux de la piève, irradiait sous un rai oblique, que l’astre du jour parvenait à transpercer dans le cahot nébuleux. La bâtisse, posée comme une icône dans la verdure crue de la plaine, semblait inviter les soldats à s’y recueillir avant une possible bataille.
Ce bijou roman est datable du XIIème siècle et donc contemporain d’autres merveilles comme San Ghjuvan de Carbini, Santa Maria Assunta de Figaniella ou San Ghjuvan de Poggio di Tallà.
Sise au cœur de la piève de Bisughje dont elle était l’église principale, elle fut un lieu de culte jusqu’au XIVème où l’effet conjugué de la malaria et des incursions barbaresques, voua le secteur à un total abandon. Francis insista sur le type d’occupation de l’espace de l’époque qui était particulièrement dispersé dans des zones occupées par la culture des céréales et de la vigne. La proximité du littoral rendit ce secteur particulièrement vulnérable quand les musulmans écumèrent le bassin méditerranéen. Ainsi, le proche couvent franciscain de Bilia fut détruit aux alentours de 1505 et peu de temps après, les barbaresques posèrent une main sacrilège sur San Ghjuvan Battista de Grossa. Quelques décennies plus tard, monseigneur Mascardi et le chroniqueur Ghjuvan della Grossa décriront l’église comme abandonnée. Gênes peut alors exercer son droit de déshérence et inféoder les terres abandonnées. Ainsi, celles limitrophes à ce lieu saint, furent reconnues comme appartenant à l’évêché d’Ajaccio et gérées par le piévan de Sartène. Au XVIIème, ce territoire est occupé par les gens de Zicavo, qui avait dû se rapprocher du littoral fuyant une montagne devenue terriblement inhospitalière lors du mini âge glaciaire et mutèrent en une sédentarisation ce qui n’était qu’une simple occupation saisonnière. Ainsi se constitua ce petit peuple de métayers, journaliers, bergers, misérables vassaux dans cette terre des Seigneurs. Les bourgs naquirent et prospérèrent, avec leurs propres lieux de culte et en 1770, l’évêque d’Ajaccio consentit à ce qu’une famille de Sartène occupe l’église désormais abandonnée. Une clause du bail spécifiait cependant que l’on y conserve une petite chapelle pour le culte, que l’on peut voir encore dans l’abside. Un acte notarié de 1773, décrit les travaux que mènera un maçon ligure pour transformer la bâtisse : surélévation de l’abside, cloisonnement intérieur, création de deux niveaux, ouverture de fenêtres. Le temps passant l’habitation s’est transformée en entrepôt et en fenil, triste sort pour ce chef-d’œuvre roman classé en 1967. Souhaitons que l’association locale qui milite pour sa sauvegarde trouve les moyens de restaurer et de redonner toute sa magnificence à cet édifice qui transfigure le vallon perdu depuis bientôt mille ans.
Alors, il se pourrait que les visages de pierre, qui ornementent ça et là certains modillons, perdent leur visage énigmatique et arborent un certain sourire…