Conservatoire d'espaces naturels de Corse

patrimoine naturel et culturel de la Corse

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L’occupation de l’espace rural

Sortie Découverte - Le 30/10/2005 - Lieu : Pieve de Sampiero

C'est sous un soleil radieux et une température plus que clémente, que les Amis du Parc s’étaient donné rendez-vous à Bastelica.
Un comité d’accueil composé de messieurs FRASSATTI adjoint au maire, NUNZI enseignant à la retraite et dépositaire de la mémoire Bastelicaise, Francis POMPONI et un de ses anciens élèves qui a particulièrement étudié la région :Jean Jacques USCIATI, attendait les participants. sous la statue martiale du héros insulaire Sampiero Corsu.

L’éclairage de la journée pouvait se voir au travers des fenêtres de l’occupation de l’espace sous tendant les rapports entre piaghja et muntagna et des jalons de foi qui les reliaient par le biais des chapelles qui essaiment la micro-région..

Sous la conduite de monsieur NUNZI, les amis du Parc se rendirent à la Chapelle Sant Agostino sise sur l'ancien chemin menant au col de Scalella.
On y apprit que le peuplement initial de la microrégion serait apparu ici vers l’an 1000 sous la forme d’un habitat précaire constitué de huttes abritant une population semi-nomade d’éleveurs dont les troupeaux pacageaient dans le Prunelli médiéval.
Avec le temps, les premiers occupant se fixèrent non loin de là, dans ce qui allait devenir le premier quartier de Bastelica : Stazzona, aux alentours de 1450.
Cet ancrage des bergers entraîna une mutation du type d’habitat qui devint permanent et l’on construisit désormais « pour durer ». Les casate, parfois de grande taille et toujours conçues pour s’agrandir au fur et à mesure que la famille croissait, fleurirent en différents lieux voisins que l’on retrouve aujourd’hui comme quartiers de Bastelica : Tricolacci, Santo, Costa, Dominicacci, Follaci, Stazzona, Vassalacci.
On nous expliqua également que sur tous les chemins qui rayonnaient à partir de Bastelica se trouvait une chapelle ; Ainsi, Sant Albertu à Radicale, Sant Antone vers Santa Maria Siche, permettant aux âmes pieuses de se recueillir en des lieux consacrés.

Un déjeuner champêtre, sous des châtaigniers centenaires abreuvés par les rus dévalant de Punta di Feno et de Punta a u Picchiu, permit aux amis du Parc de se restaurer avant la suite du programme qui les ramena à Bastelica même.

Francis POMPONI nous fit, sur la place de l’école construite en 1932 à l’emplacement de l’ancien couvent, un bref rappel de la logique urbanistique du Moyen-Âge qui exigeait que la centralité se dessine autour des lieux de foi. Rappelant que le pouvoir religieux œuvrait dans une logique simple mais efficace : les paroisses créent les communautés. Ce couvent, siège des assemblées communautaires, perdit de sa prééminence au début du XIX ème siècle ou apparu une rivalité nouvelle entre l’espace religieux et l’espace laïque.
Concomitamment, l’église Saint Michel de style baroque devenant donc trop petite, on la reconstruit sur un plan plus vaste grâce aux souscriptions, aux ventes de bois communaux et à la participation de l’Etat.
L’ombre tutélaire du brave Bastelicais planait trop sur l’assemblée pour ne pas en rappeler la vie tumultueuse. On présume qu’il naquit à Bastelica en 1498 et commença, comme beaucoup de ses compatriotes le firent aux travers des siècles, par servir à l’étranger. C’est à Florence, dans la condotta des Médicis qu’il fit ses premières armes. Passé au service du roi de France François 1er, il s’illustre dans maints combats où se construisit sa bravoure devenue légendaire. Colonel à 47 ans, commandant l’ensemble des « bandes corses », il épouse Vannina fille unique de Francesco d’Ornano, un des principaux feudataires du sud de l’île.
A la mort de François 1er, il est incarcéré à Bastia et n’est libéré qu’en 1551, sur l’intervention de Henri II. De cette incarcération arbitraire, Sampiero en garda un ressentiment tenace envers la Sérénissime République, séide du Saint Empire Romain Germanique et les offres de service du royaume de France qui considérait désormais la Corse comme une des clefs essentielles de la Méditerranée pour nuire à Charles Quint, retinrent toute son intérêt.
Au cours de l’été 1553, il s’embarque dans la flotte franco-ottomane à destination de la Corse. L’expédition connaît un franc succès par la reddition des principales villes à l’exception de Calvi. Une contre-attaque génoise menée par le vieil amiral Andrea Doria, permet la reprise en main de l’île où Sampiero d’abord blessé est ensuite extradé et emprisonné un an sur le continent pour désobéissance. Libéré par Catherine de Médicis, il constate amèrement que par le traité de Cateau-Cambrésis, Henri II rend l’île à l’Office en avril 1559. Sampiero ne l’entend pas de cette oreille et durant huit ans va mener une lutte acharnée contre la République, d’autant qu’elle a démantelé –comme beaucoup d’autres- sa maison forte de Bastelica.
En mission à Alger et dans le Bosphore pour le compte de la France, il échappe à plusieurs tentatives d’assassinat. Rentré en France, il apprend la mise sous séquestres de ses biens dans le Prunelli. Devant le mécontentement général, il n’a aucun mal à pousser ses compatriotes à la révolte. Après l’épisode trouble de la mort de son épouse, Sampiero se trouve être désormais un homme recherché tout à la fois par Gènes et les cousins de Vannina. Dès lors, Sampiero traqué n’a de cesse de rechercher un partenariat à égalité avec une puissance forte comme le fit quelques siècles plus tard Pascal Paoli avec l’Angleterre.
Une guerre faite de succès et de revers, plutôt de guérilla que de batailles rangées, l’oppose aux génois où chaque partie fait montre des plus grandes cruautés envers les vaincus. Trahi par son lieutenant, Sampiero tombe les armes à la main dans une embuscade entre Cauro et Eccica-Suarella, le 17 janvier 1567.
En 1789, 1830, 1848 durant les périodes révolutionnaires, on envisage déjà de l’honorer mais sa statue ne fut érigée qu’en 1889.

Après cet exposé, les participants entreprirent une visite de Bastelica, qui les fit traverser des quartiers assez dissemblables. Ceux, composés de maisons basses, dont l’urbanisation tardive apporte une touche de cohérence et ceux, beaucoup plus anciens, constitués de rajouts qui leur donne une allure moins structurée. Rappelons qu’entre 1780 à 1880, la population a été multipliée par deux, pour atteindre 3.500 habitants.
Jean Jacques USCIATI nous présenta ce qu’il reste de la maison de Sampiero, sise quartier Dominicacci.
Il faut savoir que ces quartiers organisaient leurs propres élections, élisaient leurs procurateurs, avaient leur propre four, leur propre chapelle. D’après les registres des notaires du XVI et XVII on peut avoir une idée de la vie à Bastelica par des actes relatifs à l’élevage, aux châtaigneraies, à l’artisanat et l’on peut constater ainsi un équilibre agropastoral assis sur des contraintes communautaires basées sur la presa : système d’occupation de l’espace alternant les cultures et la pacage.

Après cette intéressante déambulation dans la bourgade, monsieur FRASSATTI accueillit l’association dans la salle du Conseil Municipal, où Francis POMPONI orienta son propos sur les rapports entre Bastelica et la basse vallée.
Ce village n’a de sens que par rapport à sa piaghja qui se situait du côté de l’embouchure du Prunelli et de la Gravona. Il rappela qu’au delà des contraintes économiques, la mobilité entre piaghja et muntagna était due aussi au climat qui réglait l’alternance de l’occupation.
Ce système équilibré et prospère (19,On a compté jusqu’à 200 paires de bœufs qui effectuaient, pour les Bastelicais, des labours en plaine) a été remis en cause à partir de 1492, date de la fondation d’Ajaccio.
Dès lors, Gênes accapara le territoire de Campo dell’Oro, les Bastelicais perdirent ainsi leurs pacages et migrèrent vers San Germanu, mais dans une zone désormais moins intéressante.
A ce phénomène de déplacement forcé se superposa un autre beaucoup plus dangereux et qui touchait le littoral Corse : le péril barbaresque qui se traduisit par la nécessité d’ériger une série de tours de défense à San Germanu.
Au fur et à mesure que les Ajacciens fermaient leurs terres, les tensions avec les Bastelicais croissaient et en 1730 ils ravagèrent les terres appartenant aux génois.
La Corse devenue française, les tensions ne disparurent pas pour autant, ainsi on peut constater qu’en 1789, on trouve dans les doléances la volonté de constituer une piève avec des communautés divisées
Le XIX ème bouleverse définitivement l’ancienne notion de l’occupation de l’espace, telle que les Bastelicais se l’était construite au fil des temps, de ce fait :
* les forêts utilisées avant pour le pacage, sont convoitées par l’Etat qui y privilégie l’exploitation du bois.
* les principes de 1789 glorifiant la propriété privée, les biens communaux sont désormais attaqués en règle.
* le système multiséculaire de la vaine pâture est, de ce fait, remis en cause.
Enfin, en 1830, Bastelica s’érigea en commune et devint un pôle économique commerçant avec Ajaccio, activité qui pris un bien meilleur essor avec le désenclavement routier de 1850.

A l’issu de ce très passionnant exposé, les Amis du Parc se séparèrent à regret, en se donnant rendez-vous fin novembre dans le Viggiani, pour suivre le sillage de Colomba, lors de leur dernière sortie de l’année.