Conservatoire d'espaces naturels de Corse

patrimoine naturel et culturel de la Corse

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Dans le sillage de Colomba

Sortie Découverte - Le 27/11/2005 - Lieu : Viggianu

Le mauvais temps, qui rendait particulièrement malaisé le passage de certains cols, avait dissuadé un nombre conséquent de membres à se rendre au dernier rendez-vous de l’année du Viggianu. Lucette Poncin, ancien professeur d’histoire, auteur de nombreux ouvrages sur le patrimoine bâti corse était le guide incontournable de cette journée

Accueillis à la mairie d’Arbellara par la mairesse madame Michèle Rotily Forcioli et le possesseur de la mémoire locale monsieur Don Jacques Rotily Forcioli, les participants entreprirent une visite pédestre de la localité.
Comment ne pas débuter par la rencontre avec l’imposante tour crénelée qui impose au paysage, depuis cinq siècles déjà, son austère silhouette ?
Elle eut à subir deux assauts majeurs. L’un en juillet 1539 puis l’autre en janvier 1583, suite à des débarquements turcs dans le Valinco. Trois fustes razzièrent 70 personnes lors de la première incursion et la seconde razzia commandée par un renégat originaire du pays, dénommé Mami Lungo, se traduisit par le siège de la tour où s’était réfugiée la population.
Devant une résistance héroïque, les assaillants se découragèrent et finir par s’en retourner bredouilles. Capturant plusieurs bergers à leur retour sur le littoral et apprenant d’eux que la tour renfermait les biens les plus précieux des habitants, ils y retournèrent de nouveau en faire le siège. Les défenseurs ayant mis le feu accidentellement à leur dépôt de poudre furent contraints de se rendre et 180 personnes périrent ou furent amenées en esclavage.
Après de tels pillages, les lieux -on le conçoit aisément- se trouvaient exsangues, ainsi Filippini parle d’Arbellara comme d’un village abandonné dans sa fameuse chronique de la Corse. Cheminant dans le village, monsieur Rotily Forcioli nous apprit qu’il existait un sous terrain qui reliait vraisemblablement une ancienne habitation à cette tour.
Madame Poncin nous fit remarquer des exemples marquants du « style corse » du 19ème où les habitations étaient revêtues d’enduit pour susciter un cachet de prestige et qui cohabitent avec d’autres qui remontent au 16ème. Les différences s’apprécient surtout au niveau de l’appareillage des murs qui fait ressortir des pierres calibrées pour les habitations récentes et du tout venant pour les autres.
Enfin, une visite de l’église vouée à San Gavinu qui daterait de la période 1583-1587 hormis les chapelles latérales et le clocher plus récents ainsi qu’un intérieur remanié d’inspiration baroque, ponctua cette captivante déambulation dans Arbellara.
A noter que précédant cette église romane, on servait la messe dans une autre chapelle qui s’écroula à la fin du 17ème et vouée à San Bastianu.

Parvenus à Fozzano, nous fûmes reçus en mairie par madame Mireille Istria, mairesse et Monsieur Tomasini adjoint de la commune.
Tout dans ce village nous rappelle les luttes intestines qui s’y déroulèrent : tours massives, ruelles escarpées, atmosphère sévère des case forte de granite à commencer par celle des deux familles ennemies dont Mérimée nous raconta l’histoire dans Colomba : les Carabelli et les Durazzo. Cette œuvre éditée en 1841 fut transposée à Pietranera et raconte la saga d’une vendetta survenue en 1830 et opposant les deux familles. Elle fut exacerbée par la violence d’une femme nommée Colomba Carabelli, veuve Bartoli, dont le fils avait été tué. De meurtre en représailles, le drame qui se joua fit sept morts et de nombreux blessés, un traité de paix mit un terme à cette tragédie en 1834.
Mérimée rencontra la rancunière veuve et sa fille Morgana dont on dit qu’il tomba amoureux et en fit son héroïne qu’il baptisa du nom de l’aïeule, qui repose aujourd’hui dans une petite chapelle en contrebas des lieux du drame.
Ce village comporte trois niveaux suprana, mezzo et suttana. De nos jours encore, il en émane une ambiance austère, que les massives tours, flanquées de bretèches à mâchicoulis, perpétuent depuis le 16ème siècle.
Dans le village, madame Poncin mit en exergue des fenêtres géminées dont les linteaux reposent sur de superbes corbeaux en granite et datant de l’époque médiévale.

Continuant la route qui remonte vers le col de Siu, nous atteignîmes Santa Maria, terme de notre périple. Assis à mi-hauteur d’un amphithéâtre dominant la vallée du Baraci et la mer lointaine, Santa Maria jouxte le hameau de Figaniella. Dans ce dernier on peut admirer la remarquable église romane de l’Annunziata ou de Santa Maria Asunta qui date de la seconde moitié du 12ème .On peut y contempler le superbe décor en arcatures et modillons sculptés qui court sous le bandeau mouluré et qui n’est pas sans rappeler celui de Murato par ses motifs allégoriques représentant des serpents entrelacés et des masques humains. Le clocher plus récent ne nuit pas à l’harmonie que dégage l’ensemble.
L’intérieur remanié d’inspiration baroque, comprenant colonnes torses, cartouches, volutes, fronton aux rampants interrompus, entablements, tranche singulièrement avec l’austérité des murs d’origines qui ont probablement été recouverts de tentures au début du 17ème.

Un grand soleil d’hiver s’endormant frileusement dans le golfe du Valinco donna le nostalgique signal de dispersion aux membres de l’association, qui pour la trente-deuxième fois se donnèrent rendez-vous « A l’année prochaine ! »