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Dame Nature n’était pas avare de cette verdure tendre qui interpellait particulièrement l’œil sous la lumière rasante de ce matin printanier.
Au loin, les fourches de Bavella plantaient leurs pointes lactescentes dans l’azur septentrional, blessant le flanc ouaté d’un cumulus, tandis qu’un milan royal souhaitait la bienvenue aux Amis du Parc par de lentes fioritures ailées. L’Alta Rocca, terre chargée de toute l’histoire de la Corse, semblait frémir de toutes les vies qu’elle a portées.
C’est au musée archéologique que le rendez-vous mensuel des Amis du Parc avait été fixé et c’est bien là que les pèlerins convergèrent après avoir passé les cols enneigés.
Les y attendait, Jeanine de Lanfranchi, conservatrice en chef et capitaine de ce vaisseau de pierres qui porte dans ses cales plus de 10.000 ans de mémoires pétrifiées.
Après avoir souhaité la bienvenue aux adhérents et fait un bref rappel de l’historique de la présentation des collections de l’Alta Rocca au public, de la création de ce musée qui succède à celui, bien plus modeste, situé précédemment dans la ville haute, Jeanine nous invita à la suivre dans le saint des saints.
L’exposition permanente retrace la période allant du Mésolithique à l’époque historique et se visite dans le sens des aiguilles d’une montre au sein d’une immense salle dans laquelle les objets et le discours qui les expliquent semblent avoir été disposés pour la parfaite compréhension du profane.
La Dame de Bonifacio dort paisiblement dans son lit de calcaire, les meules du néolithique sont encore pleines de céréales, la faucille en lame d’obsidienne est toujours aussi tranchante, les flèches ont retrouvé naturellement leur empennage, les colombins d’argile attendent sagement près du four, un carré de fouille a reçu son carroyage et n’attend plus que les chercheurs, un prolagus embroché est prêt à être cuit, des fusaïoles en pierre patientent gentiment qu’une fileuse les réutilisent, une hache en bronze semblent toujours aussi menaçante qu’il y a quatre mille ans, des bijoux espèrent qu’une belle leur redonnera la vie en s’en ornant le cou, un bol en céramique se souvient encore des lèvres éteintes qui ont effleuré son bord et sans aucun doute, mille autres objets ont mille choses à dire à tous ceux qui les contemplent.
A l’issue de la visite de cette remarquable exposition permanente, Jeanine nous conduisit -en avant-première, car l’inauguration officielle est prévue pour la nuit des musées du 16 mai, dans la salle de l’exposition temporaire qui, cette année, a pour thème « l’Archéologie de A à Z ».
Cette exposition est avant tout destinée au jeune public. Il s’agir d’apporter aux visiteurs les moyens de comprendre comment vivaient nos ancêtres en participants à des ateliers très ludiques qui donnent à réfléchir, interpellent et démystifient bien des idées reçues sur leur mode de vie, leur nourriture, leurs vêtements, leurs armes, leurs outils.
Nul doute que l’image « primitive » de ces lointains aïeux s’estompera pour tous ceux qui auront le privilège de fréquenter les salles d’exposition.
L’après-midi, François de Lanfranchi, chantre du cœur de la muséologie corse, pour lequel le musée est tellement redevable à sa belle persévérance, nous entretint sur l’action qu’il continue à mener quant à la découverte et à l’inventaire du patrimoine de sa si belle région.
La densité des sites, le travail colossal qui reste à faire quant à l’étude de chacun d’entre eux, le temps qui presse et qui risque de faire disparaître des vestiges, ne sont pas de nature à décourager cette figure légendaire de l’Alta-Rocca et de l’archéologie insulaire.
Pour illustrer ces propos, François nous proposa de nous rendre à Sainte Lucie de Tallano, sur le site du Couvent franciscain construit en 1492 par Rinuccio della Rocca sur les ruines de sa Torre. Pour le profane, cette bâtisse imposante est totalement muette à l’interprétation ! Mais à l’écoute de l’homme de l’art, les pierres « parlent » et racontent l’histoire mouvementée de cette contrée qui a connu tant de troubles en ces âges sombres.
Doté des clés ésotériques du déchiffrement, du regard qui va au-delà de la surface des choses, d’un humanisme qui irradie sur son prochain, le vieux roi de cette Terre des Seigneurs nous dispensa sans compter sa substantifique moelle.
Et en fin d’après-midi, le gardien du Temple donna ensuite congé aux Amis du Parc, vassaux d’un jour, disciples à jamais.