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Pour cette dernière sortie précédant la trêve estivale, les Amis du Parc avaient répondu comme un seul matelot à l’appel de leur amiral les invitant à naviguer dans les parages de la Réserve Naturelle de Scandola.
La vedette affrétée n’était pas trop grande pour embarquer la totalité de l’équipage des Amis, impeccablement alignés sur l’embarcadère de Porto et qui monta à bord au coup de sifflet réglementaire. L’esquif mis lors le cap vers le large luttant de toute la puissance de ses machines contre une longue houle d’Ouest qui s’engouffrait mugissante et moutonneuse dans l’immense nasse du golfe. A bord, nous avions la chance de compter sur la présence de Nicolas ROBERT, agent de la réserve marine, que le Parc Naturel Régional avait dépêché pour nous commenter le paradis originel à venir.
Dès les premières minutes nous étions déjà dans l’enchantement des lieux :
A bâbord, noyé dans la brume de chaleur, le Capu Rossu nous toisait de sa vertigineuse falaise rouge-sang, menaçant comme un Cap Horn boréal !
A tribord, nous nous approchions du Capu Seninu, autre promontoire gigantesque que l’on doit doubler pour pénétrer dans le golfe de Girolata.
Prudemment abrité dans le roof pour échapper à la claque humide et salée des embruns, l’équipage n’avait d’yeux que pour les roches porphyres qui flamboyaient dans cet exquis matin d’été.
Sous la quille du navire glissant sur les gouffres amers, nous songions à ces milles mètres d’abysses, remplis du sentiment grisant de voler sur des gouffres mystérieux, peuplés de Léviathans et de sirènes.
Le roulis régulier donnait au paysage des allures de kaléidoscope où des dominantes de bleus rivalisaient avec les verts et rouges des collines et des tombants de l’extrême pointe occidentale de l’île. Et dès lors, il est manifeste que plus d’un d’entre nous, songea à cette évidence de se dire : Là où finit la terre, la mer a son royaume !
Parvenus au milieu du golfe, l’îlot de Gargali, se profilait désormais sous le regard larmoyant de la figure de proue du navire.
Nous passâmes dans l’étroit goulet qui le sépare de la côte, à son sommet la tour génoise fut érigée en 1610, à une époque où la navigation en ces parages n’avait pas encore pris les couleurs estivantes et festives qu’on lui connaît. Il n’y avait que quelques mètres de chaque côté du plat-bord, mais à cet endroit la profondeur est telle que l’embarcation ne court nullement le risque de s’échouer sur un haut-fond.
Le chenal franchi, nous nous approchions à présent de la Punta Palazzu et de ses spectaculaires orgues basaltiques horizontales, pétrifications ordonnées consécutives à l’explosion volcanique et au basculement de la caldera, qui a bouleversé la région il y a plusieurs centaines de millions d'années.
Et pourtant, tout n’est que verticalité en ces lieux, entre le tombant que l’on devine interminable dans le turquoise aqueux et les nids de balbuzards perchés comme autant de points sur les I magmatiques des falaises, on imagine l’ivresse iodée des rapaces et le vertige de leur plongeon dans les eaux poissonneuses de la réserve !
La baie d’Elbo s’offrait désormais dans sa splendeur originelle à la vue des Amis qui y trouvèrent un havre salvateur après la houle qui les accompagnait depuis une bonne heure.
Là encore, la République de Gênes y fit construire une autre tour la même année que sa consœur de Gargali et l’on peut imaginer l’isolement terrible des torregiani qui y séjournaient de longs mois privés de tout confort, exposés à tous les dangers et loin de tous secours.
Une longue courbe à allure réduite nous permit d’admirer les merveilles indigènes des lieux, surplombées par le vol tranquille de balbuzards, ces rois incontestés de l'azur occidental de la Corse. Nicolas nous apprit que le Parc avait entrepris une vaste campagne incitative à la nidification de ces oiseaux en leur installant des nids sur des aires propices, alliée à un programme de réintroduction, débuté en 2004, vers le parc régional de la Maremma en Toscane.
Le vaisseau fit demi-tour et refendit de son étrave acérée les mêmes molécules momentanément tranquilles depuis les vortex hélicoïdaux de l’aller.
A quelques encablures, un banc de barracudas naviguait de conserve avec l’embarcation comme pour l’inviter poliment à quitter ce sanctuaire et nous vîmes le capitaine obtempérer à cette sollicitation natatoire sans cesser de tirer sur sa bouffarde en écume de mer.
Longeant la côte, il nous fut loisible de distinguer d’incroyables concrétions d’algues calcaires formant des sortes de trottoirs bordant, au ras de l'eau, les pans verticaux des falaises. Au dessus, un bestiaire minéral défilait sur le bâbord du bateau, nous escortant jusqu’au fortin de Girolata où nous fîmes une courte halte.
Rappelons que c’est dans cette baie tranquille que le terrible Dragut fut fait prisonnier par Zanetino Doria, le 20 juin 1450 lors d’une relâche pour faire provision d’eau. Les génois coulèrent le bateau de Dragut qui fut capturé et ramené triomphalement au port de Gènes, plus tard libéré contre rançon et qui revint par la suite porter la mort et la désolation sur l’île. Le fortin quant à lui date de 1551, œuvre de Gérinomo da Levanto, surintendant aux constructions de Corse, qui perdit la vie sur le chantier.
Un débarquement irréprochable en colonne par deux et la troupe des Amis du Parc s’égaya dans Girolata pour une demi-heure de déambulation heureuse.
La sirène siffla pour la troisième trois fois quand le fier vaisseau passa sous la masse imposante de la tour de Girolata, désormais propriété du Conservatoire du Littoral qui, souhaitons-le, entreprendra prochainement une restauration salutaire de l’édifice qui menace ruine.
Porto se rapprochait maintenant bien vite, terme de cette promenade transcendante dans des lieux aussi sublimes qu’ils pouvaient l’être au premier matin du monde. Comment s’étonner alors, qu’entre deux manœuvres, un des mousses psalmodiait inlassablement comme une antienne, ces vers de circonstance :
« Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes. »
La tour construite en 1552 à l’embouchure de la rivière éponyme, sur une éminence de roches granitiques rouges, semblait encore prête à soutenir l’invasion maritime des Amis du Parc aux intentions pourtant des plus pacifiques.
Le point de rassemblement pour le repas du midi avait été fixé au village de vacances du Païsolu d'Aitone que nous rejoignîmes bien volontiers pour nous éloigner des chaleurs déjà prononcées du littoral. La forêt d'Aitone, exploitée par les génois pour son bois propice aux constructions navales, est aujourd'hui considérée comme l'une des plus belles de Corse. Essentiellement composée de pins laricio, de hêtres et de pins maritimes, elle s'étend sur plus de deux mille hectares et s'étage de 800 à 2 000 m d'altitude. C’est à l’ombre de ses hautes futaies que les Amis du Parc se restaurèrent et se remirent de leur fatigue des trois belles heures de navigation du matin.
En début d’après-midi, nous nous rendîmes dans une des salles du Païsolu d'Aitone où Nicolas nous projeta le film de Georges Antoni, sur la réserve de Scandula, « paradisu marinu ».
Cette projection nous permit de rajouter deux autres dimensions à la visite de la matinée :
* celle sous-marine, illustrée de somptueuses images de la faune et de la flore qui défila discrètement au nadir de notre coque ;
* celle aérienne, nous donnant l’espace de quelques instants la vision surplombante des balbuzards abandonnés au caprice du vent du large.
A l’issue, Nicolas répondit avec patience et compétence aux nombreuses questions de l’assistance, notamment intéressée par la pérennité et l’extension de la Réserve.
Cette sortie qui complète harmonieusement celle de février dernier, effectuée dans la vallée du Fango, restera sans nul doute gravée à jamais dans la mémoire de tous les Amis du Parc qui y participèrent.