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C’est le même soleil qui illumina un beau matin de mars 1764 la chambre natale de Carlo Andria Pozzo di Borgo, accueillant timidement les Amis du Parc, qui se dépêtrait avec peine de la brume printanière qui ceinturait mystérieusement l’Altiplano d’Alata.
Madame Pompeani-Castellani, adjointe au Maire de la commune, souhaita la bienvenue au nom de la municipalité, à tous les membres présents, rassemblés pour la circonstance sur la place d’Ampasimena,
Près d’elle, se tenaient les deux intervenants de la journée : Françis Pomponi, historien désormais « attitré » des Amis du Parc et Jean Alesandri, natif du lieu, directeur adjoint du CRDP de Corse et président de la Société mycologique d'Ajaccio.
Ce lieu de rendez-vous n’avait pas été choisi au hasard puisque c’est sur cette place au nom si peu autochtone, que l’on trouve sur un socle de syénite, la superbe statue en bronze du sergent Paul Jérôme Casalonga qui tomba au champ d’honneur à Madagascar en 1904 et dont les cendres furent ramenées dans son village natal quelques années plus tard.
Après nous avoir parlé de cet enfant du pays, Jean nous convia à une visite guidée du village qui aurait été bâti au lieu dit « La Sarra » où se trouvent encore quelques vieilles maisons abandonnées, sur la colline dominant le village actuel, par Suzzone Pozzo di Borgo qui y avait trouvé refuge avec les habitants du village de la Punta, pillé et incendié par les Barbaresques en 1574 et que nous visiterons dans l’après-midi.
Tout en cheminant dans les vieilles rues d’Alata, chef-lieu de cette commune de 3.000 habitants qui se répartissent sur sept hameaux, Jean nous narra que le village peut s’enorgueillir d’avoir donné le jour à un corse célèbre pour avoir été l’ennemi juré de Bonaparte puis de l’Empereur Napoléon Ier durant plusieurs décennies : Carlo Andria Pozzo di Borgo. Il s’illustra notamment dans son rôle d’ambassadeur de Russie en France et en Grande-Bretagne après la Restauration et par l’inimitié dont il fit part à l’encontre de son illustre compatriote lors du congrès de Vienne. « Une haine de Corse », aurait dit Talleyrand pour définir la « passion unique »" qui animait le comte Pozzo di Borgo à l'égard de Napoléon.
Montant et descendant dans le labyrinthe de ruelles qui innervent Alata et passant devant le dernier four collectif encore debout, Jean nous raconta que dans des temps que les moins d’un demi-siècle ne peuvent pas connaître, on y cuisait encore les fameux canistroni dont la vraie recette et le savoir-faire ancestral s’est perdu à jamais avec les âmes défuntes des dernières cuisinières du siècle passé.
Sur une placette dominant le village, lors d’une pause ethnologique, Jean sortit d’un étui protecteur deux exemplaires authentiques de ces chapeaux d’Alata, si singuliers et que l’on peut voir sur des cartes postales sépia, portés par les paysannes de l’époque. Ces chapeaux imputrescibles de paille de blé (19,Capelli alatese) étaient parfois capitonnés avec du tissu et pourvus d’une lanière destinée à contrer les malices coquines du vent.
Arrivés piazza maio, nous découvrîmes la bâtisse appelé « le couvent » et qui n’était en vérité qu’une extension de la demeure familiale, que la famille Pozzo di Borgo accorda en 1859 à une congrégation de religieuses afin d’en faire un hôpital et une institution d’enseignement pour les jeunes filles. Au dessus du portail d’entrée, le blason aux trois tours de Montichi rappelle le caractère nobiliaire de l’établissement.
Enfin, revenant vers la place de la Mairie, Jean nous entretint à propos d’un évènement qui défraya la chronique en mai 1838. Le vingt-six de ce mois là, Félix Pozzo di Borgo, trésorier-payeur général du département fut abattu pour des motifs futiles près du col du Pruno par deux hommes armés, Antoine Casalonga, dit Barigliolo, et Alphonse Giovannai.
C’est sur ce dernier morceau choisi des heurs et malheurs du village que les Amis du Parc firent la pose déjeuner à ce col, désormais moins exposé à la mitraille assassine qu’il ne le fut au XIXème siècle.
Après le coutumier repas frugal arrosé comme il se doit de la bonne eau locale, les participants n’eurent qu’à se mouvoir de quelques décamètres pour emprunter la petite route qui grimpe en lacet jusqu’à la punta Pozzo di Borgo, point culminant de la région.
Au premier tiers de la sinueuse montée, ils firent une station devant le monumental tombeau familial des Pozzo di Borgo, superbe mausolée sis au sein d’une forêt séculaire de cèdres du Liban, havre de paix que n’aurait pas renié Jean-Jacques Rousseau dans ses rêveries d’un promeneur solitaire. Le lieu, d’où l’œil ne s’échappe que furtivement dans les rares trouées des futaies, inspire le calme propice au repos éternel de nos hôtes.
Empruntant le même ancien chemin qui fut tracé en 1886 par le Duc Jérôme Pozzo di Borgo et son fils Charles, pour acheminer les pierres provenant du pavillon Bullant des Tuileries, incendié en 1871 par les insurgés de la Commune, nous parvînmes au castellu des Montichi où demeurent les vestiges des tours et de l’ancien village abandonnés à la fin du XVIème siècle lors de la fondation d’Alata.
Sur les ruines surplombant un à-pic vertigineux, conférant au site des allures d’un Machu Picchu ajaccien, Francis Pomponi nous narra les circonstances ayant contribué à la création de ce village au XIII ème et à son abandon trois siècles plus tard, et qui s’inscrivent dans les évènements ayant marqué le lourd et terrible passé de la région
De retour, près du mausolée, dans un amphithéâtre de verdure sous les lourdes branches de cèdres qui virent tant d’ajacciens entreprendre ce pèlerinage obligé, Francis se livra ensuite à une évocation de l’histoire de ces lieux depuis la fin de l’époque médiévale jusqu’à nos jours.
Avec sa force narrative coutumière, Francis nous autorisa à voir défiler successivement la soldatesque du commissaire génois d’Ajaccio, des turcs lourdement armés en quête de pillage, Monseigneur Agostino Giustiniani sur une mule caparaçonnée aux couleurs vaticanes, des paysans rompus de la fatigue de la moisson, des pauvres hères mourant de maladie et de faim, des belles dames en robe de taffetas broché, des apothicaires pressés d’aller soigner un seigneur, des pêcheurs venant vendre leur capture du jour, des bergers ramenant le troupeau de la muntagna, des corailleurs aux yeux injectés du sang des profondeurs, autant de spectres plus vrais que nature, dans un cliquettement d’armes, d’apostrophes rauques, de bêlements de bêtes, de rires, de pleurs, de jurons et de chuchotements. Plus d’un d’entre les auditeurs eut souvent un mouvement de recul voire d’effroi à la rencontre de ces personnage du temps jadis, tout droit sortis de la forêt qui avait refermé sur eux ses vantaux ligneux.
L’intervention terminée, les ombres évanouies, tout redevint à notre grand regret dans la plus grande normalité.
Pour ceux qui le souhaitaient, il restait la dernière ascension vers le château de la Punta, merveille architecturale en péril. Comme si le poids des ans, ne suffisait pas à gâter l’édifice, un incendie survenu en 1978 mit le feu à la toiture. En 1991 le Conseil Général de Corse du Sud décida de son acquisition et du domaine de 40 hectares auprès de la famille Pozzo di Borgo. Une réfection de la toiture, réalisée en 1996, mit le château à l’abri d’une poursuite des dégradations dues à la pluie, mais ce sont à présent les pierres chargées d’histoire de la façade qui se décrochent menaçant l’édifice de dégâts irréversibles. Souhaitons que les autorités en charge de ce dossier trouvent une solution rapide et pérenne.
En redescendant vers le tumulte de la ville, nous nous arrêtâmes à la fontaine qui moissonne les eaux des sources adjacentes et qui ne coule plus désormais que pour les esprits des anciens qui viennent s’y retrouver comme dans le temps jadis, après s’être pieusement recueillis dans les ruines de la chapelle romane avoisinante.