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La pluie qui menaçait, masquant la Grande barrière de son voile évanescent, n’avait nullement découragé une vingtaine d’adhérents à se rendre dans la vallée du Fango pour cette nouvelle sortie des Amis du Parc.
Accueillis par Michel Claude Weiss, l’archéologue bien connu qui avait coiffé pour la circonstance sa casquette d’ethnologue, pour nous faire découvrir le vieux village de Tuvarelli, hameau pastoral sur la rive droite du fleuve et significatif de ce que fut la vie des gens de la transhumance jusqu’au milieu du siècle dernier
Un bref rappel historique s’impose, il s’appuie sur les conflits séculaires qui opposaient les populations voisines, nourris pas les différends issus du passage d’un droit féodal qui faisait la belle part à l’appropriation collective des sols à celui prôné par l’administration française basé sur la propriété privée. Jusqu’au XVIIIème siècle, la faible densité de population et la tradition pastorale permirent une occupation paisible des terres, mais l’inféodation du domaine de Galeria en 1704 initia un long périple conflictuel qui débuta par une vie réaction des Niolins à ce qu’ils jugeaient comme une privation de leurs droits ancestraux. Plus tard, en 1717, un partage des terres entre les habitants de Calenzana et ceux du Niolu ne fit qu’exacerber les rancœurs et sous la présence française le conflit prit une tournure encore plus fâcheuse puisque les protagonistes en virent aux mains. La Révolution et son nouveau découpage administratif en communes ne résolut en rien le problème qui rebondit lors de l’éphémère royaume anglo-corse qui confirma les droits des Niolins issus de la concession de 1751. A partir du 1er Empire l’affaire s’envenima derechef du fait de nouveaux heurts entre Calenzanais et Moncalais d’un côté et Niolins de l’autre, mais aucune décision sur le fond ne vient mettre un terme à cet antagonisme. Ce n’est qu’en 1827, qu’un moratoire fut signé à Girolata, mais ce dernier ne mit pas pour autant un coup d’arrêt aux différends qui perduraient malgré tout. Durant la dernière Guerre, les communes du littoral perdirent un procès contre celles de la montagne à propos de la dévolution de plusieurs milliers d’hectares sur le territoire de Galeria et Manso. Plus récemment, en 2000, un dernier fait d’armes opposa la commune de Lozzi à celle de Galeria et Manso. On le voit, la situation actuelle, même si un statu quo semble être trouvé, n’est pas l’expression d’une unanimité de vues, universellement admise.
C’est dans ce contexte troublé que Michel Claude nous immergea le temps d’une matinée à la rencontre des bergers des temps jadis, qui tentaient de survivre au cœur des péripéties politiques, des incidents climatiques et des aléas sanitaires.
Il y passait entre huit et neuf mois avant de remonter dans les estives du Niolu pour la belle saison.
Ces gens venaient de Lozzi en franchissant les cols de Guagnerola et de Capronale et il n’y a qu’à emprunter ce chemin de transhumance pour y trouver encore les vestiges grandioses d’aménagements lithiques destinés à faciliter le passage des troupeaux et des chevriers. Un pavage méticuleux, bordé de murs serpente les à-pics d’une montagne pas toujours bienveillante pour ces intrus lilliputiens.
Le hameau de Tuvarelli présente une imbrication de cabanes d’habitation et de structures pastorales, il s’est construit le long d’un ruisseau, affluent du Fango. Qu’il s’agisse de cabane, de chiostru porcin ou de baraconu, nous retrouvons la même technique de construction, basée sur la maîtrise de l’élévation en pierres sèches et de la couverture par un toit en terrasse, couvert de bardeaux sur lesquels on disposait des algues et de l’argile, tandis que les linteaux de porte étaient issus de poutres de genévrier. Une mention particulière doit être accordée aux pierres d’angle, particulièrement soignées dans un appareillage en besace qui donnait sa solidité à l’édifice. Une seule ouverture desservait la bâtisse, chauffée et éclairée par un foyer à même le sol.
En parcourant le hameau, Michel Claude nous fit découvrir diverses ruines : casgiles, fours, bergeries, jardins enclos, murets de soutènements des berges du ruisseau qui traverse le minuscule bourg, où d’aucuns naquirent, vécurent ou moururent, en des temps où tout devait se gagner à la sueur du front. On sait qu’à son apogée, entre 1910 et 1920, douze cabanes étaient habitées et qu’une aghja, non loin du hameau, connut la magie de la tribbiera quand le vent marin conférait aux épis de blé la métamorphose de l’élytre, tandis qu’au bord du Fango tout proche, le ronronnement des meules rassurait de sa promesse frumentaire. Ces vestiges sont désormais inventoriés par Michel Claude et ses étudiants et gageons que l’ouvrage à paraître, donnera le sourire aux fantômes de Tuvarelli qui perpétuent une éternelle transhumance.
L’après-midi, une météo détestable n’empêcha nullement la tenue d’une réunion d’information dans les locaux de la casa marina de Galeria, animée par Pasquale Simeoni, agent du Parc, technicien de rivière et maire de la commune de Manso ainsi que par Patrick Lepaulmier également agent du Parc et responsable de la réserve M.A.B.
Pasquale rappela en premier lieu que la réserve de biosphère, correspondant au bassin versant du fleuve Fango, été créée en 1977 à l’initiative de l'Association Pour l'Etude Ecologique du Maquis en collaboration avec le Parc Naturel et l’Office National des Forêts.
L’emprise initiale de cette réserve était plus modeste et se situait dans la haute vallée du Fango. Ce n’est qu’à partir des années 1990 que la surface a été étendue aux communes de Galeria et pour partie Calenzana, pour atteindre aujourd’hui plus de 23.000 hectares.
Les principaux secteurs d’intervention relèvent de la conservation des milieux, du développement durable, de l’éducation à l’environnement, de la ressource et de la qualité de l’eau, de la biodiversité et de la recherche.
Un comité de gestion qui associe les différents partenaires institutionnels : Office de l’Environnement, Office Nationale de Forêts, communes concernées, Parc Naturel, œuvre sous le contrôle d’un conseil scientifique à travers un plan de gestion dont la première finalité est d’administrer au mieux les ressources en eau à travers un contrat de rivière.
Patrick Lepaulmier intervint ensuite pour nous brosser les caractéristiques de ce bassin versant de 235 km² qui s’étale sur une longueur de 24 km et dispense ses bienfaits à une population permanente d’environ 400 individus. Patrick mit en exergue combien ce réseau hydrographique, influencé par des sols peu perméables, génère des ressources en eau relativement limitées et soumises fortement à des variations saisonnières, ce qui implique une problématique constante entre disponibilité et consommation. Quant on sait par ailleurs, qu’en été, les activités de baignade s’échelonnent sur un linéaire de neuf kilomètres, on ne peut être qu’inquiet par la pression exercée sur un milieu aussi fragile, sans oublier la question relative à la sécurité des personnes et des biens en cas d’incendie ou de crue.
Notre intervenant s’attacha enfin à nous décliner les actions d’animation, de sensibilisation et de communication entreprises auprès des autochtones ou des touristes, sans lesquelles rien ne pourra se concrétiser.
Quand les Amis du Parc quittèrent en fin d’après-midi le Filosorma, une pluie continue grossissait le cours boueux du Fango, mais d’aucuns se souvinrent que ce dragon impétueux sera dompté peu de mois plus tard, et qu’alors on pourra dire de lui que :
« Goutte d'eau aussi petite que tu sois
Notre reconnaissance va à toi.
Le monde serait un désert sans vie
Sans une goutte de pluie.»