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Une fois franchies les portes éthérées d’un brouillard qui ourlait avec constance les cols donnant dans l’Alta Rocca, Levie nous apparut dans la lumière diaphane d’une belle matinée d’automne, qui transfigurait ses belles pierres sous un éclairage où toutes les veines granitiques semblaient charrier comme un chant de mémoire des temps anciens.
C’est devant le nouveau musée de l’Alta Rocca que la quarantaine d’adhérents se retrouvèrent pour cette dernière sortie de l’année.
Accueillis dans le superbe hall de l’établissement par le conservateur en chef Janine de Lanfranchi et ses collaboratrices, en présence de François de Lanfranchi, l’archéologue de grand renom, co-inventeur de la « Dame de Bonifacio », fondateur du premier musée archéologique de Levie, nous eûmes droit à un bref rappel historique sur l’émergence des fouilles dans les années soixante, période héroïque où les objets récoltés étaient stockés au domicile même de l’archéologue, sur l’acquisition des sites préhistoriques, sur la création du premier musée au début des années soixante-dix, jusqu’à nos jours et ce superbe outil dont l’ouverture totale devrait intervenir en mai de l’année prochaine.
D’ors et déjà, le visiteur a la possibilité d’admirer deux expositions temporaires dans la partie idoine du musée où nous nous rendîmes pour la circonstance.
En premier lieu, l’exposition « Et l’animal fit l’homme » offre une frise temporelle partant des chasseurs de Curacchiaghju du mésolithique jusqu’à notre grand-mère maniant la quenouille dans une Corse encore largement autarcique. Cette excursion dans le vertige des siècles se décline dans le rapport de prédation, de domestication, de symbiose parfois, qui a toujours ponctué les rencontres entre l’animal et l’homme et s’appuie sur une très riche collection d’objets, prêtés ou donnés, allant de la flèche perçante sur hampe empennée avec une armature en obsidienne, jusqu’au fusil de chasse dit « à piston » richement orné, en passant par le « cupone » ingénieux piège à oiseaux basé sur l’équilibre instable d’une pierre qui ne demande qu’à se rabattre sur un gourmand volatile.
Ensuite, non loin de ce premier lieu d’exposition, nous empruntâmes le « labyrinthe fantastique », une immersion dans la mythologie grecque en suivant le fil d’Ariane et rencontrant au détour de la déambulation, d’impressionnantes sculptures sur bois réalisées par Stéphane Deguilhen, sur des acteurs majeurs de ce bestiaire légendaire. Nous citerons l’incontournable Minautore maître redouté des lieux, un Dieu Pan dont la flûte semble encore appeler Syrinx , un Centaure prêt à piétiner le visiteur de ses puissants sabots, une Sirène accompagnée d’un triton que n’aurait pas reniée Ulysse, une Harpie dont les serres ne demanderaient qu’à se saisir de votre âme, une Gorgone qui médusa l’assistance de son flamboyant regard et une Sphinge, la lionne ailée qui semblait nous poser la fameuse énigme, prix de notre sortie de ce voyage initiatique.
Encore fascinés par l’expressivité et la puissance dégagées par ces sculptures, le conservateur nous amena pour une « visite virtuelle » selon ses propres dires, de ce qui sera la galerie d’exposition permanente, qui doit ouvrir l’an prochain.
Cet espace curviligne s’est voulu d’un seul tenant et comprend huit stations à travers les limbes du temps, partant de l’apparition de l’humain sur ce socle granitique jusqu’à l’époque médiévale de la « terre des seigneurs », une trajectoire allant de l’inhumation de la « Dame de Bonifacio » à celle de la « Dame de Capula ».
La visite suivant le fil chronologique nous conduira donc prochainement à travers l’Alta Rocca terre de granite, les premiers pêcheurs-piégeurs de la période Mésolithique, puis les trois thèmes de l’homme et la terre, l’homme et l’animal, l’homme et la matière constitueront les temps du Néolithique, ceux des Casteddi et de l’âge du bronze nous rapprocheront de notre ère, plus proche de nous encore celui des Korsi et de l’âge du fer, enfin notre esquif dont Chronos est le timonier abordera les rives du bastion lithique de la « terre des seigneurs » jusqu’à son déclin de la période génoise.
Une découverte des locaux administratifs où douze personnes oeuvrent en permanence et un aperçu de l’Alta Rocca entrevue du toit de la bâtisse ponctuèrent agréablement la visite de cette superbe machine à remonter le temps.
L’après-midi, une découverte de l’atelier de Coutellerie de l’Alta Rocca nous permit de rencontrer Pierre-Yves Thomas qui y exerce son art sous la bienveillante présence paternelle.
Les créations de ce dernier sont plus particulièrement orientées vers la production traditionnelle, tandis que celles de son fils se sont spécialisées dans le domaine de la création pure.
Dans sa boutique, nous eûmes l’opportunité de voir quelques échantillons des pièces réalisées et de comprendre combien ces créations requièrent temps, patience, savoir-faire et méritent incontestablement la qualification d’œuvres d’art. Stylets, couteaux de berger, « vendetta », « runchetta », s’offrent au regard du visiteur.
Le travail des manches, généralement issus de la partie terminale des cornes de cervidés, nécessite un processus long et laborieux, du choix de la matière, en passant par sa mise en forme, jusqu’à son évidement pour recevoir sa future lame.
Nous apprîmes que l’on pouvait obtenir des couteaux dotés de manches dans les matières les plus diverses : bois, dent de cachalot, ivoire et même issus de mammouths !
Le travail des lames exige encore plus de temps et de peine, surtout quand elles sont de la facture de l’acier dit damassé.
Puis visitant son atelier, l’artiste nous expliqua que dans l'histoire du fer forgé, spécialement des qualités d'acier employées à la fabrication des armes blanches, ce produit a joui d'une faveur particulièrement grande dès l'antiquité, puis pendant tout le moyen âge et jusqu'à ces derniers siècles.
Il nous fit remarquer que chaque fois qu'on rencontre une collection réputée armes historiques, l'attention est toujours spécialement attirée sur les armes dites damassées, production de plus en plus rare de l’art ancien de l'armurerie orientale. Celles-ci en effet, représentent un produit particulier de l'industrie de l'acier, non seulement par leur aspect extérieur, notamment un dessin reconnaissable à l'oeil nu à la surface de l’acier et la coloration bronzée du métal, mais aussi, de l’avis presque unanime des amateurs et connaisseurs anciens et modernes d'armes, par l'extrême flexibilité et la grande résistance de ce métal à l'usure
Nous apprîmes enfin que l'acier damas laminé a ses origines dès le début de l'age de fer. Il fût découvert que par pliage et soudure dans un feu de carbone, il était possible de produire de l'acier, un composé du fer que l'on peut durcir pour produire des outils et des armes de qualité supérieure. Aujourd'hui, ce que l'on appelle acier damas est un acier obtenu en soudant alternativement des couches d'acier doux et d'acier dur les unes sur les autres. C'est l'acier damas de corroyage. Le nombre de couches varie de quelques dizaines à quelques centaines suivant les effets recherchés. Les objets obtenus à partir de ces empilements sont gravés à l'acide ; l'acide attaquant l'acier dur et l'acier doux à des vitesses différentes, des lignes de gravure apparaissant in fine à la surface de l'objet.
Ainsi s’acheva notre dernière sortie du millésime 2006. Que viennent les temps heureux de la cuvée 2007 et de la découverte infinie de notre patrimoine !