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Trois douzaines de personnes se retrouvèrent en début de soirée, non loin du Musée de la Corse à Corte, à l’invitation conjointe de l’Association des Amis du Parc et du Groupe Chiroptères Corse (19,G.C.C.) pour une observation de la faune nocturne locataire de la vallée du Tavignano et notamment des chauve-souris.
Encadrée par Geneviève, Valérie, Ségolène et Pasquale des Amis du Parc, la colonne des participants remonta la rive gauche de la rivière, tandis que Greg, Jean-Yves pour le G.C.C. tendirent des filets à même le cours d’eau non loin de la cité Paoline, dans le but de capturer les chiroptères qui orbiteraient dans leur invisible emprise.
En cette douce fin de journée, les sommets surplombant les gorges flamboyaient encore sous les perles safran du soleil couchant, tandis que l’ombre penchante des pins s’allongeait immensément sur les roches polies d’un Tavignano, encore ivre des vapeurs des derniers névés du Campotile. Le chemin suit fidèlement la sinuosité excentrique de la rivière en une succession de circonvolutions tout à la fois verticales et horizontales, au beau milieu des senteurs qu’exhale Dame Nature quand ses chaleurs s’endorment et que ses fragrances s’éveillent.
Des chèvrefeuilles géant entrelacent des genévriers comme des pieuvres arbustives aux mille tentacules odoriférantes, les touffes de thym réveillées par la chenille caoutchoutée de la colonne des randonneurs transmutait le sentier en un univers entêtant et aromatique.
Après une heure environ de cette progression exquise, nous parvînmes au terme de la sente, dans une crique heureuse en lisière de la rivière, surplombée d’une frondaison minérale et de roches arborées, un havre de paix tout juste ému par le murmure des eaux qui conte aux roches la même légende depuis l’aube des temps et qui, à force de chuchotements et de caresses, leur ont abandonné le blanc poli des siècles.
Un dîner pris sur la grève, entre les cieux qui lentement s’endeuillaient et les flots qui charriaient chaotiquement les dernières perles de clarté, permit de rompre le pain tendre de l’amitié dans une ambiance joyeuse et conviviale.
Tout prêt de nous, dans une cavité désormais abandonnée par la décrue de la rivière, Valérie nous fit remarquer une mare où batifolaient nombre de têtards au stade larvaire et qui bientôt participeront à la cacophonie batracienne des belles nuits d’été.
Puis quand enfin une obscure clarté daigna tomber des étoiles, les participants prirent le chemin du retour et lors, il eut été pertinent de se trouver sur la Punta a u Finellu pour contempler le minuscule serpent lumineux des frontales qui ondulait mollement dans le fond du Tavignano.
Delphine et Kevin, du G.C.C. mirent en route des détecteurs à ultrasons qui transforment les cris de ces noctambules ailés en sons audibles à l’oreille humaine, permettant aux spécialistes de différencier ainsi les espèces émettrices. C’est ainsi que l’on pu notamment reconnaître le signal rarement capté du grand rhinolophe sur la fréquence de 90 Khz. De nombreuses autres espèces se signalèrent également par des crépitements caractéristiques dans nos récepteurs portatifs.
Comment, en voyant les pirouettes gracieuses et frénétiques d’une bande de chiroptères, à la recherche de leur pitance, traversant les faisceaux de nos lampes à l’instar des marsouins sur les lames de l’océan, ne pas penser aussi à la remarquable faculté qu’ont les mammifères à s’adapter à des milieux qui ne leur sont pas du tout naturels à l’origine.
Sur le retour, des ramages divers agrémentaient notre déambulation et le chant flûté du rossignol dominait celui de ses congénères et nous accompagnait au fil de l’eau vive qui descendait vers l’ancienne capitale de la Corse.
Parvenus à l’endroit ou Greg et ses amis avaient tendu des filets dans le cours même du Tavignano, nous eûmes l’agréable surprise de pouvoir examiner de près un Vespère de Savi, tout juste capturé. Le minuscule et frêle animal demeurait tranquille dans la main protectrice de son « oiseleur ». Seulement cinq grammes de chair, de poils et de fines membranes et pourtant un être vivant doté de capacités prodigieuses de repérage et de vol, d’un d'intérêt écologique certain, car une chauve-souris insectivore peut gober environ un millier de moustiques dans une seule nuit. C’est dire son utilité, mais hélas, les chiroptères sont très sensibles à certains insecticides, tels que le D.D.T., qu'ils ingurgitent avec leurs proies.
Rappelons que l’on trouve des chauves-souris dans le monde entier, exception faite de la zone arctique et de certaines îles océaniques éloignées. On pense que les chauves-souris sont apparues sous un climat chaud, probablement au début de l'éocène (19,le plus ancien fossile connu de chauve-souris remonte à environ soixante millions d'années).
Les chiroptères sont divisées en deux sous-ordres : les grandes chauves-souris ou mégachiroptères (19,170 espèces, une seule famille), et les petites chauves-souris ou microchiroptères (19,800 espèces réparties en 15 familles). La France continentale en connaît 35 espèces et la Corse 22. Les chauves-souris sont capables de voler à des vitesses assez faibles, avec une extrême habileté. Le vol est pratiqué grâce à un repli de peau, tendu entre les membres antérieurs et les chevilles, et soutenu par les os très allongés du membre antérieur et les doigts. Cette aile est attachée le long de la ligne médiane du tronc et des membres et, chez diverses espèces, elle s'étend des membres supérieurs à la queue. Seul le pouce est libre : chez la plupart des chauves-souris, c'est le seul doigt muni d'une griffe, comme les orteils. Tous les microchiroptères se dirigent en vol par écholocation, c'est-à-dire par émission pulsée de sons de haute fréquence qui sont réfléchis sous forme d'échos (19,perçus par les oreilles de la chauve-souris) par les surfaces environnantes. Les échos renseignent l'animal sur la position, la distance relative et même la nature des objets de son environnement. Ceci permet aux microchiroptères de voler dans l'obscurité totale. Les impulsions sonores sont générées au niveau du larynx et, selon les espèces, sont émises par la bouche ou par les narines. Par contre, les mégachiroptères se servent de la vue plutôt que de l'ouïe pour s'orienter. Les yeux des mégachiroptères sont relativement plus grands que ceux des microchiroptères. Cependant, aucune chauve-souris n'est totalement aveugle, et même les microchiroptères qui utilisent l'écholocalisation peuvent se servir de repères de grandes dimensions pour se diriger en vol. À quelques exceptions près, toutes les chauves-souris sont nocturnes. Pendant la journée, les animaux se reposent dans divers lieux de perchage, tels que les grottes, les crevasses, les arbres creux, le feuillage, les abris ménagés sous les pierres, ou l'écorce, et dans des bâtiments. Ils peuvent même percher à des endroits exposés ; certains grands mégachiroptères sont suspendus la tête en bas aux branches des arbres, en groupes importants. Leurs mœurs nocturnes procurent aux chauves-souris beaucoup d'avantages : la concurrence est réduite pour la recherche de nourriture, le risque d'attaque par des prédateurs est diminué, la lutte contre la chaleur et la déshydratation (19,importante chez les chauves-souris) du fait de leur surface cutanée énorme par rapport à leur taille est facilitée.
Quelques espèces vivent en solitaires, mais la plupart sont grégaires (19,petits groupes composés d'un seul mâle et d'une dizaine de femelles assemblées comptant plusieurs milliers ou même plusieurs millions d'individus). Certaines espèces de chauves-souris des zones tempérées sont migratrices, et l'on a enregistré des déplacements de près de 1 600 km entre leurs quartiers d'été et d'hiver. D'autres peuvent parcourir de quelques kilomètres jusqu'à 40 km ou plus par jour entre les lieux de perchage et de nourriture, mais la majorité chasse dans un rayon d'action plus réduit. La plupart des chauves-souris sont insectivores et peuvent attraper leurs proies en vol ou chercher les insectes stationnaires sur les feuilles ou d'autres surfaces. La plupart des mégachiroptères sont frugivores. D'autres espèces des deux groupes mangent des fleurs ou en extraient le nectar grâce à leur langue très allongée (19,ce qui favorise la pollinisation croisée des plantes). Quelques-unes des plus grandes chauves-souris à nez en feuille, ainsi que les membres d'une famille d'Eurasie sont carnivores ou omnivores ; elles s'attaquent à de petits amphibiens, des lézards, des oiseaux, des souris et même à d'autres chauves-souris, et consomment en outre des insectes et des fruits. Quant aux vampires d'Amérique tropicale, ils se nourrissent uniquement de sang aspiré à partir des petites blessures qu'ils infligent essentiellement aux animaux à sang chaud.
Les périodes de gestation des chauves-souris varient d'environ quarante-quatre jours à huit mois chez les différentes espèces. Peu d'entre elles ont plus d'un petit par an et les jeunes ont tendance à se développer assez lentement.
Enfin, Jean Yves nous fit participer à la nouvelle expérience qu’il est en train de mettre au point : en reliant un stroboscope à un détecteur à ultrason, l’appareil se déclanche automatiquement au passage d’un chiroptère, ce qui provoque un étrange ballet aérien où le vol de l’animal est comme figé dans l’espace du fait des effets de la persistance rétinienne.
Les deux aiguilles pointaient concomitamment vers le zénith quand nous rentrâmes sur Corte, Il flottait dans l’air cette délicieuse sensation d’avoir vécu des moments privilégiés, uniques, originaux comme d’avoir entraperçu des bruits tapis au fond de cette sombre corbeille que nous nommons le silence.