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Une aurore maussade et un fort vent d’ouest faillirent compromettre la sortie, mais ces aléas n’empêchèrent aucunement une quinzaine de personnes d’être présentes à la base aéronavale d’Aspretto, qui rappelons-le a été crée suite à un rapport rédigé en 1927, à la suite d’une inspection en Corse, par une commission sénatoriale.
Les premiers travaux de terrassement et d’aménagement du terrain avec construction d’une jetée et d’un terre plein furent entrepris des 1933, par la Société des grands travaux de Marseille. Ces aménagements furent très longs et ce n’est qu’en 1936 que les premiers bâtiments commencèrent à sortir de terre. Après les diverses vicissitudes de la seconde guerre mondiale où notamment une flottille de la base participe en août 1944 au débarquement de Saint-Tropez, elle connut une période de léthargie jusqu’en 1955 où elle retrouva un certain regain en devenant le pivot de la Marine en Corse. Mais le fleuve ininterrompu des décennies ayant coulé inévitablement sous l’arche du temps, le désengagement généralisé de l’armée de tous les sites non vitaux a conduit à la dissolution de la Base d'Aéronautique Navale d'Aspretto, le 22 septembre 1993. Actuellement sur une emprise immense sise au cœur d’Ajaccio, ne demeure plus que le centre secondaire du CROSSMED pour la Corse.
Le but de la sortie était de procéder au baguage de jeunes goélands d’Audouin, éclos trois semaines auparavant et qui se tapissaient dans des abris du môle ouest de la base, aménagés en forme de toit à deux pentes.
Il est important à noter que si la population mondiale se monte à 15 ou 20.000 individus, la France ne compte qu’une centaine de couples dont une bonne quarantaine se trouvaient se jour là sur Ajaccio. C’est dire l’importance première de ce site au niveau de l’espèce, qui se répartit sur le pourtour méditerranéen, avec une importante colonie espagnole, ceux de Corse, ayant de fréquentes relations avec leurs congénères sardes
Tandis que, accompagné de son fils, Bernard Recorbet, effectuait une approche maritime dans un canoë, une équipe dotée de moult boites destinées à contenir les poussins pris a proximité de leur lieu de capture, longeait la partie bétonnée qui décrit une large boucle dans cette partie de la baie impériale.
Après avoir franchi un dispositif grillagé isolant la colonie des laridés du restant de la base, les ornithologues confirmés, suivis de leurs apprentis, entreprirent de capturer les poussins surpris de la soudaineté de l’attaque, si bien qu’ils furent capturés et enfermés dans leur prison cartonnée bien avant que la cacophonie rieuse de la colonie ait pu donner le moindre signe d’alerte.
Si l’un d’entre eux parvenait à s’exfiltrer du maillage ornithologique et parvenait jusqu’à l’eau, le blocus maritime effectué par le naturaliste de la D.I.R.E.N. arraisonnait immédiatement le jeune fugitif. Méthodiquement, les juvéniles furent bagués avec toute la minutie et le savoir-faire requis. Deux types de bagues furent apposées, dont l’une en plastique est suffisamment grande pour être lisible avec des jumelles et donc permet un suivi discret mais précis de la colonie.
Cette année, nous avons pu constater une scission de la colonie en deux groupes du fait d’une intrusion de goélands leucophées qui s’opposent à la présence de l’espèce cousine. Il faut dire que la loi du nombre est largement de leur côté et que sans les abris aménagés pour leurs poussins, les goélands d’Audouin disparaîtraient inéluctablement.
Après de joyeuses courses-poursuites où la bonne humeur ne sacrifiait en rien au professionnalisme, 42 jeunes furent dûment bagués sur le site d’Aspretto. L’an dernier, ce sont 40 jeunes qui furent capturés, ce qui tend à prouver un maintien en l’état de la colonie. La femelle Audouin pond en moyenne 2 œufs par an. Les petits commencent leur envol à l’âge d’un mois et il était donc grand temps de les baguer.
Ils garderont leur plumage juvénile pendant deux ans et lorsqu'ils passent le 1er hiver, le manteau devient gris avec de distinctes dentelures foncées. On peut également remarquer une nette barre noire sur la queue. Plus tard, les signes de différenciation avec les leucophées sont assez marqués : Ils sont légèrement plus grand, leur bec est rouge avec une pointe noire, leurs pattes sont grises.
Il faut noter que la mortalité des jeunes est assez importante, témoins le nombre de cadavres trouvés sur la jetée. Au-delà des mauvais traitements occasionnés par les adultes de l’espèce concurrente et dont nous fûmes hélas témoins ce jour là, les jeunes Audouin sont souvent victimes de sous-nutrition consécutive à des périodes de mauvais temps pendant lesquelles leurs parents ne peuvent aller quérir de la nourriture, sachant que cette nécessité les conduise à s’éloigner jusqu’à une quarantaine de km de leur nichoir. Au tout début, les parents régurgitent la nourriture puis donnent des petits poissons quand leur progéniture est capable de les avaler.
Repérés d’abord sur les îles Cerbicale, on les trouve à partir de 1970 sur les îles Finocchiarola à raison d’une cinquantaine de couples qui furent chassés par les goélands leucophées. La tentative de colonisation du golfe de Porto a échoué et ne demeurent que vingt-cinq couples à Centuri.
Cette espèce est suivie depuis 1989 sur le site d’Aspretto. En 1993, Bernard Recorbet dénombre 4 couples, l’année suivante il obtient la pose de la grille qui interdit désormais l’accès au môle du 1er avril au 31 juillet. En 1997, il comptabilise 20 couples, nombre qui a doublé de nos jours et depuis 2004, un plan régional de protection a été conclu avec les autorités de Sardaigne.
Une fois le baguage terminé, l’équipe s’est repliée en bon ordre, non sans remettre les jeunes dans les abris d’où ils avaient été capturés, afin que leurs parents les retrouvent sans peine.
Grâce à cette opération, il sera possible de connaître les lieux d'hivernage et de migration des oiseaux, d'identifier parfois les causes de mortalité et par la même de mettre en place des mesures de protection, si nécessaire, sachant que le goéland d'Audouin est considéré par l'union internationale pour la conservation de la nature comme vulnérable au plan mondial.
L’après-midi, nous avions rendez-vous après le déjeuner dans le golfe de Lava, au nord d’Ajaccio, pour une promenade vers la tour de Pelusella dont il ne subsiste que des ruines, tristement posées sur une falaise qui surplombe les eaux azuréennes de la baie.
Rappelons que cet ouvrage fut construit en 1582 et se situe à mi-chemin de la tour d’Ancone datant de la même année et de la tour de Capo di Feno, érigée en 1601.
Elle faisait partie de la ceinture d’ouvrages censés constituer un réseau de surveillance à toute épreuve et qui fut fréquemment déjoué par les barbaresques qui disposaient de nombreuses opportunités de débarquements discrets.
Après une marche à flanc de colline et surplombant le fluide miroir de l’anse de Lava, nous arrivâmes au promontoire où les vestiges de Pelusella semblent défier encore une hypothétique invasion.
Il nous fut donné de contempler le nid artificiel installé pour la fidélisation au site du Balbuzard et qui n’a guère fonctionné, par contre des faucons pèlerins, goélands, merles bleus, fauvettes, hirondelles des rochers, des fenêtres ou rustiques ne cessèrent de virevolter en d’incroyables cabrioles aériennes.
Le soleil lentement déclinait dans la Méditerranée quand les membres de l’association revinrent sur la plage, encore éblouis par tant de grâce et de beauté ailées.