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Accueillis par la Présidente de l’association Franciscorsa, Madame Lucile Gandolfi-Scheit, auteur de l’ouvrage « Biguglia, mémoire d’une capitale », une septantaine de membres des Amis du parc se retrouvèrent dans le village ancien de Biguglia, adossée aux contreforts du Monte Rotondo et dominant la plaine bordée de l’étang de Chiurlino (19,aujourd’hui dénommé également Biguglia), murée au nord par le verrou bastiais et au sud par les sinuosités fertiles du Golo.
En compagnie de Marie-Germaine Mary, administratrice des Amis du Parc et co-organisatrice de la journée, nous fûmes invités à parcourir les vieilles rues de l’ancienne capitale médiévale de la Corse, foulant les traces de son glorieux passé.
Les intervenantes nous rappelèrent que Biguglia est intimement liée à l’histoire tourmentée de la Corse et notamment durant la période trouble du Moyen-Âge. Son implantation fut sans nul doute dictée par le voisinage de l’étang poissonneux et giboyeux, zone commerciale usitée depuis la plus haute antiquité, la présence d’un oppidum rocheux offrant un point de vue embrassant toute la plaine environnante et une localisation privilégiée sur la voie de communication conduisant vers le Nebbio et la Conca d’Oro
Elles nous invitèrent à porter notre regard sur le levant d’où émergeaient les sommets d’Elbe au dessus d’une Tyrrhénienne tranquille dans ce doux matin d’hiver.
Plus proche de nous s’alanguissait l’étang de Biguglia, métamorphose dernière d’un golfe ponctué de trois îles dont il ne subsiste aujourd’hui que San Damiano et Ischia Nova et dont l’ensablement irrémédiable contribua en partie à la création de Bastia où l’on trouva des eaux profondes propices à la navigation.
Biguglia s’inscrit dans la rivalité séculaire qui opposa Pise et Gênes. C’est sous l’hégémonie de la cité toscane qu’est érigée la chapelle Sant Andrea Vecchio aux alentours de l’an de grâce 1150, plus tard Fra Giovanni Parenti, successeur de Saint François à la tête de l’ordre dans la première moitié du XIV ème fonde le couvent de Biguglia, comme d’autres en Corse à Bonifacio, Calvi, Nonza, Venzolasca, Alesani et Ornano. Mais l’édifice tomba irrémédiablement en ruines durant la Révolution française. Il servit, comme beaucoup d’autres lieux saints insulaires, de nécropole.
Dans notre déambulation au sein du petit bourg, nous parvînmes au pied des ruines du castellu dont les puissantes fondations permettent de se faire une idée de l’importance originelle du site.
Siège de la puissante famille de Giovanni de Bagnara, installée d’abord à proximité de l’antique cité de Mariana et dont le fief s’étendait de la vallée du Golo au Cap Corse, Biguglia vit l’édification de son castrum aux alentours de 1150. D’emblée, les seigneurs de Biguglia se placèrent sous l’autorité de Pise mais la défaite navale de la Méloria en 1284 sonna le glas de la puissance toscane en Corse et quelques années plus tard, réalistes et résignés, les seigneurs insulaires firent allégeance à Lucchetto Doria, vicaire Générale de la Sérénissime République Ligure.
Mais désireux de s'opposer à l'influence génoise en Corse, le Pape investit le roi d'Aragon du royaume de Sardaigne et de Corse en 1297.
Gênes et l’Aragon se disputent lors la Corse où les grandes familles sont divisées en partis pisans, en partis génois ou en partis aragonais et se combattent les unes les autres.
Après maintes tribulations, Gênes mit un terme à la féodalité en favorisant le mouvement des caporali, nouvelle classe de notables issus du peuple. En 1358, une révolte populaire éclate, l’un de ces caporali Sambocuccio d’Alando, à la tête d’une armée populaire, s’emparera de tous les châteaux afin de les détruire à l’exception de Bonifacio et Calvi, possessions génoises. Il préservera Cinarca et Biguglia afin d’en faire des sièges de justice.
Ainsi se créera la dichotomie Terra del Comune dont Biguglia est la « capitale » incontestable et Terra dei Signori.
Dès 1362, les gouverneurs génois se succèdent, siégeant dans le fier castellu, mais Arrigo della Rocca, un seigneur cinarchesi ramené dans l’île par l’Aragon s’empare de Biguglia et se fait nommer Comte de Corse en 1372.
Gènes reprend sa capitale et par traité du 27 août 1378, confie la gestion et le gouvernement de la Corse à une société commerciale privée : la Maona.
L’éloignement du Cap où Gênes possédait de puissants alliés, nous l’avons vu l’ensablement de l’étang, incitèrent la Sérénissime à trouver un site plus propice à l’administration de la Corse. C’est l’éperon rocheux que l’on aperçoit du castellu en regardant vers le nord qui sera choisi pour l’édification de Bastia, aux alentours de 1380.
Après avoir repris Biguglia au gouverneur génois Zoaglia, l’avoir de nouveau perdue, Arrigo della Rocca mourra sans l’avoir conquise alors qu’il s’en rapprochait à la tête de nouvelles troupes en 1401.
Gênes, conscient de l’imperfection de la gestion de la Maona, reprend sa souveraineté sur l’île en l’an 1407.
Le neveu d’Arrigo, Vincentello d’Istria, fait le siège de Biguglia dont il s’empare et où il se fait couronner Comte de Corse. En 1408, c’est au tour de Bastia de tomber dans ses mains et une grande partie de la Corse est désormais administrée sous sa suzeraineté. Mais le sort des armes connaît de terribles revers et Gênes parvint à le chasser de l’île et à s’installer de nouveau à Biguglia ! Opiniâtre, Vincentello revient quelques mois plus tard mais ne parvient pas à s’emparer de son ancien fief. Il y retournera en qualité de Vice roi de Corse pour le compte d’Alphonse d’Aragon, en 1419 et y mène un siège victorieux de trois mois, qu’il parachève par la capitulation bastiaise.
C’est de sa capitale, chèrement conquise, qu’il administrera son vice-royaume jusqu’en 1432.
Cependant, l’exercice d’un pouvoir sans partage ne lui procurera pas que des amis et durant son absence, sa forteresse succombe aux troupes des caporali entourant Simone da Mare. Voulant se réfugier près de son allié aragonais, son navire est arraisonné. Vincentello est capturé, amené à Gênes, jugé et exécuté le 27 avril 1432.
Gênes s’installe de nouveau dans cette capitale tant de fois prise et perdue. Après quelques années de paix, les troupes du Pape Eugène IV mettent le siège devant Biguglia qui se rend, mais son successeur Nicolas V, pro-génois rend la cité à la République.
En 1453, la Corse est cédée à l'Office de Saint-Georges qui l'administre jusqu'en 1562 et le 1er octobre, le gouverneur Selbago rejoint son fief. Mais, les temps troubles perdurent, les seigneurs du sud n’entendent pas prêter allégeance et les rivalités intestines dans Gênes même occasionnent les plus grands désordres. Le neveu du nouveau doge se fait nommer Comte de Corse, assiège Biguglia et s’en empare. Conquête éphémère car un renversement du pouvoir dans la cité ligure amène le Duc de Milan à devenir seigneur de Gênes et durant les années 1464-1478, ce seront ses propres gouverneurs qui siègeront dans le castellu.
En 1476, après des revers d’alliances, un nouveau siège terrible se termine par un sac du village. Comme si ce n’était suffisant, un dernier siège sera mené en 1478 par le seigneur de Piombino et ce n’est qu’en 1484 que le gouverneur Francesco Pammoglio pourra rétablir les prérogatives de l'Office de Saint-Georges, dans une Biguglia martyrisée.
Tant de sièges victorieux, la montée en puissance de Bastia amenèrent les stratèges de la République à envisager la destruction du castellu et le 18 mai 1489 est signé l’ordre de démolition qui précédera celle des remparts devenus inutiles, malgré les suppliques des gens du lieu.
Ainsi s’acheva le rôle prééminent de Biguglia mais l’histoire pluriséculaire de l’habitat fortifié qui constitue la trame du vieux village lui a donné un caractère indéniable et lui a permis de conserver son originalité.
Comment percevoir dans notre spassighjata dans ces ruelles tranquilles, le tumulte des armes, les cris de peur ou de souffrance, les morts et les blessés jonchant les remparts, les vainqueurs insolents, les fronts prosternés, le rire des soudards, les pleurs des veuves et des mères ?
Et pourtant, tout cela a vraiment existé et la nonchalance heureuse des lieux ne doit pas nous faire oublier que ces faits ne remontent qu’à … hier et les fondations encore visibles du Castellu, de vieilles bâtisses dont certaines incorporent dans leurs murs ses pierres calcinées, témoignent encore des terribles temps médiévaux
Avant que de quitter l’ancienne capitale, Lucile Gandolfi-Scheit nous convia à visiter l’église Saint André qui fut construite aux alentours de 1690. On y transféra des objets pieux provenant de l’ancien couvent franciscain bâti par Giovanni Parenti en 1336 et dont il ne reste que d’infimes ruines. Elle renferme notamment le caveau de Dionisa, fille de Clemente Paoli, un superbe Saint François en bois, un peinture monumentale de Saint André datant de 1766 offerte en ex-voto et une vierge déhanchée à l’enfant, produite vers 1390 et certainement la plus ancienne statue de Corse.
Ainsi s’acheva notre immersion dans ces temps terribles, au sein desquels la quiétude qui nous est coutumière n’était qu’une parenthèse heureuse voire anormale dans ces siècles d’infortune.
Après déjeuner, nous nous rendîmes au bord de l’étang de Biguglia où nous attendait Christian Mikdjian, agent de la Réserve, qui nous fit une présentation des activités menées par le Département de Haute Corse qui gère le site et nous permit également d’observer la faune ailée qui niche dans l’immense zone humide.
Et d’abord un peu d’histoire : Cet étang d´origine lagunaire a été formé il y a plus de 6000 ans par le remaniement marin des alluvions du Golo. Son histoire débute réellement durant l´antiquité. En effet, Marius fonde une colonie romaine constituée de vétérans de la légion vers 100 av. J.C. aux fins de contrôler l´île et implante sa colonie au sud de l´étang.
Cette vaste étendue d´eau constituait sûrement un grand port bien abrité des vents d´est.
Après la chute de l´empire romain, la zone humide est abandonnée à cause de la malaria, véhiculée par les moustiques anophèles.
Au XVIème siècle, les Génois tentent de mettre en valeur l´étang de Biguglia dont ils font un comptoir commercial, où l´activité piscicole est d’une importance majeure.
Le fortin de l´île des pêcheurs, situé dans la partie nord de l´étang, sera l´enjeu de la bataille d´Ischia nuova en 1558 entre Génois et Français.
Au cours des siècles, de nombreux travaux sont entrepris pour assainir l´étang et notamment un canal le reliant au Golo, mais ce n’est qu’en 1943 que l’éradication du paludisme sera menée à son terme par les américains, durant leur séjour en Corse.
La réserve naturelle, crée en 1994, s'étend sur les quatre communes de Furiani, Biguglia, Borgo et Luciana
D'une superficie d’environ 1.500 ha (19,11 km de longueur et 2,5 km de largeur), l'étang de Biguglia est le plus vaste de Corse. C'est une lagune de faible profondeur d'eau (19,1 m en moyenne), très confinée et reliée à la mer par un étroit chenal. Elle est en grande partie isolée de la mer par un cordon littoral d'une dizaine de km de long.
La réserve naturelle de l'étang de Biguglia peut s’enorgueillir de compter plus de trois cents espèces végétales, plus de deux cents espèces d'oiseaux et 41 espèces de poissons.
Une partie du temps une pêche professionnelle s’organise sur le plan d’eau et une quinzaine de tonnes de poissons sont récoltés annuellement.
On y trouve quatre espèces d’amphibiens :
* Crapaud vert,
* Discoglosse sarde,
* Grenouille verte,
* Reinette verte.
Le caractère exceptionnel de ce site naturel ne se limite pas à sa qualité paysagère toutefois remarquable à quelques kilomètres de la plus grosse agglomération de l’île. Son inscription sur la liste des zones humides d'importance internationale au titre de la Convention de Ramsar ainsi qu'à l'inventaire des zones de protection spéciale afférent à la Directive européenne relative à la conservation des oiseaux sauvages, sans oublier son classement en Réserve naturelle, témoignent d'un intérêt écologique particulièrement remarquable.
L’étang de Biguglia bénéficie par ailleurs d’un Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux. Autrefois baie échancrée et bien abritée des vents d’est, grâce à l´île de Chiurlino et aux petites îles voisines Ischia Vecchia et Ischia Nova, la lagune de Biguglia est aujourd´hui un écosystème confiné en raison d´échanges avec la mer relativement limités, et surtout très localisés. Ceci lui confère une grande sensibilité à l´eutrophisation du fait de l´accumulation de sels nutritifs. D´autre part les eaux lagunaires présentent une forte dessalure par rapport au milieu marin, sans doute liée à l´importance des apports en eaux douces en provenance du bassin versant. C’est en effet pas moins de six rivières, San Pancrazio, San Lorenzo, Pietre Turchine, Rasignani, Mormorana et surtout Bevinco qui se jettent dans l´étang, auxquelles il faut ajouter un réseau ancien de canaux ayant autrefois permis l´assèchement de la plaine mais dont le déficit d´entretien pose aussi problème. Du fait de cette situation difficile, l´idée d´un SAGE sur l´étang de Biguglia est, très tôt, apparue pertinente aux différents gestionnaires locaux puisque l´arrêté de création de son périmètre par le Préfet date du 22 septembre 1994. Déclaré par ailleurs Réserve Naturelle par décret du 9 août 1994, l´Etang, représente un patrimoine sensible sur lequel la mise en réserve a modifié les règles des différentes activités liées à l´environnement.
Dans les longues vues mises à disposition des participants, nombre d’oiseaux purent être vus dans des conditions exceptionnelles et notamment de nombreux flamands roses issus de la colonie de 360 oiseaux dénombrés sur le site.
Une promenade sur la rive Est de l’étang, empruntant un sentier aménagé qui longe les rives au coeur des roselières, permit des points de vue remarquables sur un miroir aqueux placide seulement troublé par une faune s’épanouissant dans la paix éternelle de dame Nature
C’est à l’issue de cette bienheureuse déambulation que les Amis du Parc s’éloignèrent de Biguglia, de son passé tumultueux et de son serein présent.