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De toute la Corse, par delà les plaines et les monts, en ce radieux dimanche d’octobre, six bonnes douzaines d’adhérents avait fait un pèlerinage associatif vers Morosaglia. La place de l’ancien couvent, que tant de prieurs illuminèrent de leur foi à travers les siècles, accueillit la foule bigarrée et ravie des Amis du Parc, pour le moins impressionnée par le symbolisme austère et imposant du lieu.
Après les préliminaires d’usage, nous nous rendîmes à l’intérieur de l’église paroissiale du couvent dédié à Saint François d’Assise.
Cette église fait partie d’une kyrielle de cinq, essaimées autour de Morosaglia et qui constituaient autant de point de jointure entre les hameaux. A savoir : Santa Reparata où nous nous rendrons l’après-midi, Notre Dame du Mont Carmel sise au hameau de Rocca-Suprana, l’Annonciation située au hameau de Terchjine et la chapelle en ruine de Sant’Andrea au hameau de Sevasi.
Premier officiant dans l’antique nef, Francis Pomponi nous embarqua dans son esquif temporel pour une immersion au sein de ce passé tout à la fois lointain quand on songe à toutes ces générations d’hommes qui s’assirent à nos mêmes places mais aussi si proche quand on considère le peu de perles enfilées par ce saint lieu au chapelet interminable des siècles. Comme à l’accoutumée, Francis sut captiver l’auditoire par son aisance à nous narrer mille anecdotes, mille petites chroniques qui rendent alors tellement vivante, tellement vraie ce que l’on nomme l’Histoire. Ainsi, devant nous défilèrent tour à tour des moines franciscains transfigurés dans leur foi, la soldatesque génoise vociférant des ordres dans un cliquetis d’armes, des assemblées populaires élisant des procurateurs, d’humbles gens pauvrement vêtus n’ayant que la foi pour adoucir la dureté des temps, d’hautains seigneurs à cheval entourés d’un aréopage de courtisans, des enfants insouciants dont le rire faisait froncer les broussailleux sourcils des frères réguliers, des camelots braillant leurs boniments à des chalands sans le moindre sou, des foules inquiètes d’une proclamation de guerre, des départs déchirants pour de trop rares retours et des évêques jugés sur des mules découvrant émus leur diocèse. Autant d’images sorties pour la circonstance de la narration du Grand Livre du Temps, pour se superposer aux fresques défraîchies des chapelles attenantes.
Alors, défilèrent terribles ces moments tourmentés de la Corse, depuis l’implantation génoise jusqu’au traité de Versailles, en passant par la révolte de 1358, l’administration de la Maona puis de l’Office de Saint Georges, l’écrasement des féodaux, l’épisode de Sampierro Corso, la « paix génoise » durant le XVIIème siècle, la guerre de quarante ans où apparaît sur la scène le clan Paoli et l’épisode furtif du roi Théodore. Et chaque fois le couvent de Morosaglia s’imprégnait des heurs et malheurs des temps pour qu’aujourd’hui, à celui qui s’en donne la peine, il puisse sentir l’Histoire sourdre de la jointure des pierres.
La bonne parole fut ensuite laissée à Antoine Rover, érudit, mémorialiste et responsable d’une exposition sur Morosaglia, dans les pièces attenantes du couvent.
Ce dernier s’attacha à nous parler de la construction du couvent, des trésors qu’il contient et des divers remaniements qu’il connut.
Il nous rappela que l’église paroissiale ne se situait pas au couvent mais à Santa Reparata qui surplombe Morosaglia et ce jusqu’aux alentours de 1914. Pour autant, c’est au lieu dit Panicale que s’érigea le couvent dont la laborieuse construction s’égraina sur près de huit décennies après que les procurateurs de la piève du Rustinu aient sollicité le ministre provincial des Mineurs Observants pour obtenir l’autorisation de le fonder, à leurs propres frais. Celle de l’église dura quasiment un siècle et ne se termina qu’en 1730. Il nous fit remarquer notamment le fronton d’autel et la chaire du XVIIIème, le remarquable tabernacle, les chapelles latérales, la sépulture de Clément Paoli, l’aménagement baroque où colonnes torses, cartouches, frises, frontons interrompus corniches, architraves, chapiteaux parlent le même langage intelligible dans tant d’autres lieux de la chrétienté. On put admirer également un chemin de croix, une « Via crucis », décrivant en quinze tableaux la Passion du Christ, qui n’est pas sans rappeler une peinture similaire déposée dans l’église de la Nativité de la Vierge de Vallica.
Monsieur Rover insista sur le fait que le hameau autour du couvent est récent, il ne s’est développé que depuis 1877, date de la construction de la route Calvi-Alesani décidée par Napoléon III et qui passe par Morosaglia. En 1699, le couvent comptait quinze religieux franciscains qui remplissaient également un rôle éducatif et l’on sait qu’une vingtaine d’élèves fréquentaient les lieux en 1738 dont un certain Pascal Paoli. Plus tard sous le Consulat le convent sera même reconverti en gendarmerie, enfin il devint un collège en 1830 pour respecter les veux du Babbu dans son testament londonien.
Marie-Germaine Mary, membre éminente de l’Association, termina les interventions au sein de l’église Saint François en nous livrant le fruit de ses recherches sur les chapelles de Corse.
Pour ce qui concerne Morosaglia, elle s’est appuyée sur le libru maestru, sorte de livre de bord du couvent, renfermant moult détails de la gestion matérielle quotidienne, des testaments et legs, des conflits que le couvent pouvait avoir avec d’autres congrégations comme par exemple celui de 1674 dans lequel les habitants de Morosaglia se plaignent des incursions des frères capucins de Vescovato qui viennent faire la mendicité dans le Rustinu qui a déjà en charge les franciscains et qui demandent l’arbitrage de l’évêque de Mariana, ou celui plutôt cocasse quand en 1709 la confrérie Santa Croce se brouille avec la paroisse à propos des cierges d’enterrement.
La bibliothèque Franciscorsa (19,bibliothèque des Franciscains) sise à Bastia contient une base de données sur les couvents de Corse et notamment sur celui de Morosaglia, sous forme de microfilms qui couvrent la période allant de 1600 à 1750. Les difficultés de lecture rendent malheureusement difficile l’exploitation exhaustive de ces précieux documents.
Marie-Germaine rappela le rôle fondamental de ce couvent qui possédait une section de théologie et de philosophie, dans un environnement où le savoir n’était pas aussi facilement quérable que de nos jours.
Elle nous décrivit le poudroiement de foi constitué par la multitude des lieux consacrés qui jalonnent le Rustinu, oratoires encore présents ou même disparus comme Sant’Andria et Sant’Andria Vecchu.
A l’issue de ces brillants exposés, l'interminable cortège des pèlerins de l’Association prit la direction du Col de Prato d’où, de la corne d’abondance de la hêtraie du San Pedrone, un ocre torrent de feuilles mortes s’épanchait tout à la fois vers Morosaglia et vers la Porta. Au cœur de cette onde écarlate, les Amis du Parc se dispersèrent pour déjeuner, fendant les flots rouquins de leur panier de victuailles, aussi altier que des figures de proue de galères génoises. Quelques frugales libations plus tard, Francis Pomponi nous régala au dessert des grands moments de ce col, haut lieu de l’histoire de la Corse et notamment durant la période paoliste.
Il insista sur la présence des ruines de la « cathédrale » San Petruculo d'Accia, sise dans un évêché crée pour accorder à Pise et à Gêne un nombre égal d'investitures épiscopales en Corse. On sait que les évêchés d'Ajaccio, de Sagone et d'Aléria dépendaient de Pise et ceux de Mariana et du Nebbio de Gêne, le diocèse d'Accia fut donc crée de toutes pièces en détachant l'Ampugnani et le Rustinu de leurs diocèses antérieurs et la « cathédrale » fut fondée à la limite des deux pièves. La ville d'Accia se serait située près du col de Prato mais ses ruines demeurent introuvables. D'après les recherches archéologiques menées sur les lieux, cet édifice serait l'église fondée par Grégoire le Grand dans la montagne de "Nigeuno" afin d’intensifier l’évangélisation de la Corse mise à mal par les influences sarrasines.
Un vent frais venu tout droit de la lointaine Tyrrhénienne occasionnait aux ramées une myriades de chiquenaudes entraînant la chute des feuilles, comme une immense révérence rousse à l’azur du ciel. Il nous décida à redescendre vers Morosaglia pour nous rendre à l’église Santa Raparata perchée sur son nid d’aigle à neuf cents mètres d’altitude. Cette église romane datant vraisemblablement du XIIème siècle contient de nombreuses pierres sculptées de réemploi. Elle présente au tympan de sa porte deux serpents entrelacés datés de 1550 et à l’intérieur un chemin de croix naïf du XVIIIème. On y trouve également une statue de Saint Roch et un retable remarquable qui doit prochainement être restauré.
C’est en ce lieu austère que fut baptisé Pascal Paoli en 1725.
A nos pieds un océan de verdure étalait les reflets mordorés de sa longue chevelure de châtaigniers et de hêtres, des chocards entrecroisaient la pluie incertaine des feuilles et croassaient d’émotion au spectacle de ces vols d’adieu à la grâce virevoltante.
Francis nous attendait une dernière fois sur les marches du couvent pour une intervention sur la vie de Pascal Paoli, dont nous célébrons cette année le bicentenaire de la disparition.
Il rappela devant une assemblée attentive que c’est de ce lieu qu’il écrivit une partie de sa correspondance et se livra à un magistral exposé sur le cheminement du Babbu di a patria corsa à travers ce dix-neuvième siècle troublé, ses différents exils, les ralliements et les trahisons qui ponctuèrent sa vie, ses rapports avec l’ancien régime, la Révolution, Bonaparte, l’Empire, ses accointances maçonniques, ses heures de gloire et d’infortune. Une vie riche et tumultueuse, complexe parfois à comprendre.
Le soleil commençait à s’assoupir subtilement derrière les crêtes, ses rais rasants révélaient mille éphélides de rouille sur les cimes boisées, les Amis du Parc se séparèrent alors foulant mille feuilles rousses que le vent retrousse et mille feuilles d'or sous les arbres morts.