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Le petit parking de Bocca Albitrina ne suffisait pas à accueillir les véhicules de la bonne demi centaine d’amis du Parc qui avait convergé vers le Sartenais pour cette première sortie de 2008.
Après de chaleureuses retrouvailles, le convoi s’ébranla en direction de la mer, vers le plateau de Cauria, haut lieu de la préhistoire insulaire, qui fut occupé depuis le Mégalithique ancien.
Le domaine, qui renferme les trois sites de Stantari, de Renaghju et Funtanaccia, est désormais propriété de la Collectivité Territoriale de Corse qui a entrepris une vaste campagne de fouilles et de protection sur cette emprise de dix-huit hectares.
Frédéric Demouche, archéologue du Musée Départemental de Sartène, nous y attendait pour nous entraîner dans une passionnante excursion dans ces temps que les moins de trois mille ans ne peuvent pas connaître.
Première station dans ce voyage initiatique : l’alignement d’I Stantari qui comporte deux douzaines de stèles dont des statues anthropomorphes dotées d’un casque, d’un baudrier scapulaire soutenant une épée à pommeau plat, d’un pagne et qui semblent toujours s’étonner du lever de soleil vers lequel elles tournent leurs grands yeux caves et leur bouche bée, émerveillement pétrifié qui émotionna tant Prosper Mérimée lors de son voyage en Corse de 1839.
Frédéric nous fit remarquer combien la datation de ces sculptures relève d’une grande complexité. D’abord parce que le matériau lithique ne peut se dater en lui-même, mais seulement par des traces de charbon issues de foyers contemporains de son érection, ensuite du fait que ce qui est visible aujourd’hui n’est peut-être que le fruit d’un remploi de statues antérieures. Il semblerait que ce complexe cultuel fut occupé entre la fin du Néolithique et l’Âge du Bronze final. L’alignement que l’on peut contempler résulte des premier travaux de Roger Grosjean opérés dans les années soixante qui avait trouvé les monolithes renversés face contre terre, œuvre iconoclaste certainement perpétrée lors de la période de romanisation et qui eut le mérite de les protéger de l’érosion. Les récentes fouilles, débutées en l’an 2001, confirmèrent que les statues furent replacées au bon endroit et révélèrent un sorte de base en arc de cercle qui donnait aux stèles un caractère surélevé par rapport à leurs adorateurs.
L'orientation purement sacrée du site ne fait aucun doute car les habitats en étaient bien séparés, essaimés notamment sur Punta di u Grecu, monumental chaos rocheux qui surplombe les alignements.
Frédéric nous invita ensuite à nous rendre vers le site de Renaghju , à quelques jets de fronde plus au sud. Cet autre alignement comporte plus d’une centaine de monolithes couchés ou redressés et orientés approximativement selon la direction Nord-Sud. Dès l’entrée les restes d’un coffre, où fut découverte une pointe de flèche à pédoncule et ailerons, nous rappellent que ce lieu fut aussi une sépulture.
Le site fut occupé vraisemblablement sur une longue période remontant à environ à sept millénaires où furent dressées les premières pierres, de tailles modestes. Les alignements de stèles plus importantes remonteraient au Chalcolithique. Là aussi, nombre de statues furent détruites où tout simplement remployées dans des murs ce qui ne facilitent en rien la tâche des chercheurs en charge du lieu.
Par contre, il ne fait aucun doute que le matériau lithique provient des boules granitiques avoisinantes, d’autant qu’un des monolithes correspond très exactement à une empreinte d’enlèvement que l’on peut discerner sur l’ancienne carrière.
Sous la conduite de Frédéric, nous nos rendîmes ensuite au dolmen de Funtanaccia appelé aussi Stazzona di u Diavulu (19,la forge du Diable) selon les croyances qui attribuaient ce genre de monument au Malin. Ce dolmen est sans aucun doute le mieux conservé de la cinquantaine que renferme l’île. Deux autres monuments similaires au moins constituaient une nécropole qui vu le jour aux alentours de moins 4.200 ans avant J.C. Cette date ne peut se concevoir que par analogie aux autres dolmens de Corse, car celui-ci fut abondamment pillé, servi d’abri à tant de générations de bergers que plus aucune datation n’est désormais possible.
On sait que ces sépultures, à l’origine souvent sous un tumulus, renfermaient nombre de corps qui étaient repoussés en périphérie au fur et à mesure des inhumations et l’on peut imaginer combien d’archéologues damneraient leur âme pour accéder aux détails intimes de ces funèbres cérémonies.
Les dalles, soigneusement régularisées, témoignent d’un grand savoir-faire et du caractère sacré du monument. L’ouverture au sud-est semble participer également au même culte solaire que les Stantari non loin de là.
A l’époque Néolithique, le métal restait à inventer et les outils ou armes ne se concevaient que dans le matériau naturel et abondant que l’homme apprivoisa : la pierre.
Silex, rhyolithe, quartz, et obsidienne (19,importée de l’île proche de Sardaigne) constituaient la matière première à partir de laquelle l’homme façonnait l’objet avec une dextérité et des techniques sans cesse améliorées qui s’essaimèrent dans tout le monde préhistorique.
Frédéric Demouche, nous fit une démonstration convaincante de la taille de silex et d’obsidienne, roches toutes deux à fracture conchoïdale où l'onde de cassure, issue du percuteur, se propage en courbe et non pas en ligne droite, prenant la forme d’un coquillage, d’où son nom.
Une hache et une pointe de flèche prirent forme par de savantes percussions sur la pierre brute, puis le travail de finition se fit par pressions méticuleuses d’un bois de cerf aux endroits idoines. Gestes aujourd’hui perdus pour l’immense majorité de l’humanité et qu’il est vital de perpétuer comme un héritage sacré de nos lointains ancêtres.
Après le déjeuner, les amis du Parc se rendirent dans les environs de Tizzano, à l’alignement de Pallaghju qui constitue la plus grande concentration de pierres dressées de Méditerranée. Au sein du site, 258 monolithes couchés ou redressés dont 3 stantari armés se répartissent en six files orientées Nord-Sud et une septième orientée selon l’axe Est-Ouest.
Divers coffres funéraires y ont été inventoriés dont un seul est conservé et qui a livré un mobilier du Bronze ancien, exposé au Musée Départemental de Sartène.
Au visiteur pourvu d’un peu d’imagination, il semblerait qu’une gigantesque tempête, déclanchée par un courroux divin, ait couché comme des fétus de paille, ces fières stèles érigées par la vanité des hommes.
L’absence d’écrits nous cachera peut-être à jamais la clef d’un déchiffrement complet de ces productions humaines. Elles répondaient certainement à une logique culturelle, ostentatoire, commémorative, magique qui se perd dans la nuit des temps, d'autant que du million de levers de soleil qui nous sépare de leurs érections, aucun dépôt de mémoire n'a su s'incruster derrière leurs paupières pétrifiées et énigmatiques…