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Un ciel de gentiane, une mer de myosotis, de proches montagnes en robe de lys, l’air constellé de coccinelles réchauffant leurs élytres au soleil levant, un zéphyr chargé des fragrances du Cap, les mâtures toutes proches qui tricotent la pelote des haubans, voilà le décor planté d’une place de Saint Florent en ce radieux dimanche de printemps
C’est là que les membres de l’association, en très grand nombre se posèrent à l’instar du groupe de goélands leucophées sur le môle tout proche. Après les roucoulades et les frous-frous d’ailes de bienvenue, les Amis prirent la départementale 81 qui baguenaude dans les Agriates comme une couleuvre aux écailles de bitume.
Direction l’ancienne maison forestière de Chierchiu, sise sur un belvédère d’où la vue embrasse une grande partie des Agriates.
Nous y attendait Jean-Philippe Grillet, Directeur du Conservatoire du littoral.
Jean-Philippe, ravi d'une assistance aussi nombreuse, nous apprit que ce lieu a pour vocation d’être réhabilité et aménagé en point d’information. Il dispose de nombreux atouts : son éloignement du littoral, sa mitoyenneté à la route, son point de vue incomparable sur le site.
Il rappela que le Conservatoire du littoral, est un établissement public créé en 1975. Il mène une politique foncière visant à la protection définitive des espaces naturels et des paysages sur les rivages maritimes et lacustres et peut intervenir dans les cantons côtiers, ainsi que dans les communes riveraines des estuaires et des deltas et des lacs de plus de 1.000 hectares. Il acquiert des terrains fragiles ou menacés à l'amiable, par préemption, ou exceptionnellement par expropriation. Par ailleurs, des biens fonciers peuvent également lui être donnés ou légués.
La Corse est la région de France où le Conservatoire du Littoral a fait le plus d’acquisitions. Son patrimoine s’est enrichi de nombreuses zones qui ceinturent l’île de beauté :
En Balagne, dans le golfe de Porto, les pointes de Cargèse-Vico, dans le golfe d’Ajaccio, dans le Sartenais, les rivages occidentaux et orientaux du Parc Marin des Bouches de Bonifacio, le secteur de Sainte Lucie de Porto-Vecchio, les étangs de la côte orientale dont la récente acquisition de celui d’Urbino, le secteur Marana-Casinca, la pointe du Cap Corse et les Agriates, ces dernères constituent avec ses 5.300 hectares, ses 37 kilomètres de côtes allant de de Fornali à l’Ostriconi, le plus vaste site du Conservatoire du Littoral au niveau national.
Sa politique consiste, après avoir fait les travaux de remise en état nécessaires, à confier la gestion des terrains aux communes, à d'autres collectivités locales à des associations pour qu'ils en assurent la gestion dans le respect des orientations arrêtées.
Avec l'aide de spécialistes, il détermine la manière dont doivent être aménagés et gérés les sites qu'il a acquis pour que la nature y soit aussi belle et riche que possible et définit les utilisations, notamment agricoles et de loisir compatibles avec ces objectifs.
Ainsi, un syndicat de gestion du site des Agriates a été créé avec le département de Haute Corse et les communes de San Pietro di Tenda, San Gavinu di Tenda, Palasca et Saint Florent.
Jean-Philippe nous narra qu’un projet monumental d’aménagements fonciers a vu le jour dans les années soixante-dix dans ce territoire, point de passage ancien entre la Balagne et Bastia et occupé depuis la nuit des temps par l’homme, témoins les mégalithes et les innombrables pagliaghji et aghje qui constellent ses moindres replis.
Une réaction très forte à ce projet d’aménagement mobilisa la population et le fit choir à jamais dans les oubliettes.
Le secteur, une fois intégré dans le domaine du Conservatoire, connut une gestion efficace jusqu’en 1996, puis pendant dix ans les choses ont périclité et la sur fréquentation anarchique des véhicules tout terrain 4x4 et quads a gravement compromis l’essence même de l’opération menée par l’établissement public et mis à mal la flore particulièrement riche. Depuis quelques années, une vaste opération de concertation impliquant les usagers, les chasseurs, les éleveurs, les sociaux professionnels et les élus semble porter ses fruits en faisant confluer tous les interlocuteurs vers l’idée de ne pas gâcher ce patrimoine incomparable. Des points de convergence visant à abolir la fréquentation des véhicules sur les plages, à fermer certaines pistes, à développer les randonnées pédestres, en V.T.T. ou à cheval, à restaurer les pagliaghji, cimentent désormais l’action des différents acteurs de terrain.
Enfin, monsieur Grillet rappela la nécessité pour le Conservatoire de disposer en permanence de personnels sur le terrain, pour informer mais également verbaliser les contrevenants si besoin. Actuellement, vingt gardes sont en cours de formation et d’assermentation à cet effet.
Après avoir répondu à moult questions des adhérents, Jean-Philippe nous invita à nous rendre à l’embouchure de l’Ostriconi pour prendre une collation avant que d’y rencontrer un de ses collaborateur, Dominique Casanova, garde du littoral depuis quinze ans dans les Agriates.
Un déjeuner sur l’herbe, dans une parcelle propriété du Conservatoire, non loin d’une aghja abandonnée mais d’où émane encore comme un murmure des temps anciens où hommes et bœufs y accomplissaient des milliers de tours de fatigue, de sueur, de peine et de joie, face à l’embouchure sinueuse de l’Ostriconi, permit aux Amis de se retrouver dans cette fraternité du partage des victuailles et des idées.
Dominique, acteur de terrain, connaît les Agriates mieux que personne. Il nous parla de la volonté du Conservatoire de responsabiliser les visiteurs en supprimant notamment toutes les poubelles du site. Il s’est avéré que contrairement aux idées reçues, un secteur sans possibilité de dépôt demeure plus propre du fait que cela suscite très généralement le réflexe de ramener ses déchets plutôt que de les abandonner près d’un point de collecte, pas toujours relevé à suffisance et fouillé par les bêtes sauvages.
Dans ce site classé depuis 1989, on constate une fréquentation d’environ 220 véhicules/jour en haute saison sur l’ancienne route de l’Île Rousse, peu pratique pour stationner et surplombant la plage d’une telle hauteur que son accès se révèle plutôt scabreux. Aussi, va-t-on supprimer l’ancienne route goudronnée et la rendre piétonnière, aménager un grand parking loin de la mer et une entrée offrant sécurité et informations aux visiteurs. De plus, un poste de secours bien intégré au site, complètera ce dispositif.
Dominique insista sur le fait qu’avant la loi de 2002, le Conservatoire ne pouvait pas intervenir sur le domaine public maritime, limitant par la même la pertinence de ses actions. Depuis il peut devenir propriétaire de cet ourlet marin et mener une politique plus rationnelle dans sa gestion. Il rappela que cette région connaissait surtout une occupation saisonnière bercée au rythme des labours, des semences et des moissons et donc les Agriates (19,dont le nom viendrait du mot latin Ager qui veut dire champ.) ont une vocation de reconquête pastorale.
Jusqu'au début du XXème siècle, les agriculteurs travaillaient encore des milliers de pieds d'oliviers, cultivaient le blé; récoltaient amandes, citrons et figues. Les Agriates furent aussi une grande terre de transhumance des bergers du Niolu et d'Ascu en des temps où l’homme fusionnait avec la nature pour sa survie.
Ne fut-ce que par respect pour le peuple laborieux des bergers et des cultivateurs qui s’usèrent dans ce milieu hostile tout en le respectant, chacun comprit l’importance de l’action menée par le Conservatoire.
On prétend même, que certains perçurent dans les alentours de l’aghja, les mânes des anciens occupants, reconnaissantes à ces vivants de la préservation des lieux et de la conscience de tout leur labeur.