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Après avoir traversé un pont sous lequel l’orpailleur impétueux du Golo charriait sans ménagement des paillettes de rhyolithe de la Paglia Orba, les amis du Parc trouvèrent refuge au havre ouaté de Lana Corsa, accueillis par mesdames Simonpietri et Nicolaï, exploitantes de la structure.
Cet atelier dont tissage et tricotage sont les deux mamelles de la production, possède pour première originalité d’utiliser la matière première locale : la laine des brebis corses dont la texture donne un fil extrêmement résistant, connu et apprécié, depuis des temps immémoriaux.
Madame SimonPietri nous conduisit dans l’exposition sur les différentes variétés de laine afin de nous en montrer l’extrême diversité sur les cinq continents et comment mieux expliquer toutes ces nuances qu’en donnant la possibilité aux personnes intéressées de voir et toucher ces bribes de toison ?
Elle nous fit part du fait que rien qu’en Europe, on compte quatre cent cinquante races de brebis qui génèrent une extrême diversité de production laineuse : ainsi quand on recueille huit cents grammes par tête en Corse, ce n’est pas moins de cinq kilogrammes que l’on peut tondre sur les ovins de race mérinos !
Notre interlocutrice nous apprit que la laine n’est qu’une variété de poils, qui se distingue par sa finesse intermédiaire entre le duvet et le poil soyeux, la plupart des animaux mammifères en sont dotés, surtout dans leur pelage d'hiver quand ils vivent dans les pays froids.
A l'état naturel, elle est mélangée au poil soyeux; c'est ainsi qu'on la voit chez le mouflon corse, qui est généralement regardé comme la souche sauvage de nos moutons domestiques. Mais la domestication et la sélection a entièrement modifié le pelage de ces derniers; le poil soyeux a presque complètement disparu chez eux pour céder la place à la laine, qui, plus fine, plus longue et plus serrée, constitue cette précieuse toison d'où l'on tire les plus chaudes étoffes.
Le mouton n'est pas d'ailleurs le seul animal dont la laine soit utilisée, bien qu'il ait le privilège d'être élevé spécialement en vue de ce genre de production. D'autres ruminants domestiques donnent des laines recherchées pour certains usages particuliers comme l'alpaca, de vigogne, de chèvre, de chameau, de yack.
Madame Simonpietri souligna, au-delà de son usage coutumier, les qualités avérées de la laine : elle est flexible, élastique, solide, protège du chaud et du froid, isole du bruit, s’enflamme difficilement, ne retient pas la poussière, est renouvelable et dégradable.
Il faut dire que ce matériau, qui semble d’une extrême simplicité pour le profane, est en réalité une sorte de toron torsadé de quatre fibres distinctes : la laine, le jarre, le poil et l’hétérotype. La laine corse est l’une de celle qui feutre le plus au monde.
Notre hôte rappela ensuite à l’assistance le cursus suivi par l’entreprise, qui a débuté sous la finalité d’une simple filature créée avec l’aide du Parc Régional qui voulait promouvoir la filière laine. Cette filature utilisait un matériel trouvé en Ariège et pas vraiment adapté à la texture de la laine de nos brebis corses. Elle n’a fonctionné qu’une décennie à l’inverse de l’activité de tricotage qui accompagne le chant du Golo d’un cliquetis d’aiguilles, depuis un bon quart de siècle. Quant au futur, Lana corsa espère posséder bientôt ses propres animaux de race corse pour pouvoir maîtriser totalement toute la chaine allant de la matière première au produit fini.
Nous suivîmes notre interlocutrice au sein de l’exposition permanente : « de la brebis au fil – di a pecura à u filu », dont le fil rouge serpente les siècles en narrant l’histoire de la laine, des premiers balbutiements du fuseau préhistorique jusqu’à la machine à tricoter contemporaine.
Madame Simonpietri se livra à des démonstrations de filage avec cette facilité et cette maîtrise que seule une pratique assidue permet d’acquérir.
Des objets des anciens temps (19,rocca, fusu, ancinu, rouet) cohabitent avec des machines modernes démontrant une fois de plus, s’il en était besoin, l’évolution d’un savoir-faire universellement partagé vers une spécialisation inéluctable des tâches. De nombreux échantillons de tissus ancestraux permettent au visiteur d’appréhender combien les matières d’aujourd’hui ont évolué, certes vers un meilleur confort dans le port des vêtements mais au prix d’un traitement désormais chimique et déshumanisé des matières.
Madame Simonpietri nos conduisit ensuite dans l’atelier de teinture. Elle nous confia que les teintures chimiques pour les activités de tricotage étaient faites sur Bastia, les teintures végétales sont appliquées sur place et réservées au tissage et au feutre pour des raisons de coût et d’homogénéité des couleurs.
A cet effet, un jardin de plantes à teintures a vu le jour et bientôt une cueillette sur place permettra de s’affranchir des laborieuses quêtes sur le terrain à la recherche des précieux végétaux. A cette palette herbacée, il convient de rajouter les apports d’autrefois du murex et plus récent de la cochenille qui donne cette belle couleur pourpre, symbolique éternel du pouvoir.
Mais déjà, sans apport étranger, le simple tri de la laine des brebis corses permet d’obtenir quatre couleurs naturelles sans teinture : écru, beige, gris clair et gris foncé qui serviront de base aussi bien dans les pulls que dans les tissages ou le feutre.
Et c’est en fin de matinée que nous quittâmes à regret ce lieu de mémoire et de savoir-faire, que tout curieux du patrimoine se doit de visiter.
Après le déjeuner, le programme de l’après-midi avait subit quelques modifications dues aux conditions météorologiques déplorables et plutôt que de nous rendre à Lento à la rencontre des responsables de l’association foncière pastorale (19,A.F.P.), c’est un responsable de l’Association A Muntagnera, Martin Vadella, cheville ouvrière du projet sur la microrégion, qui s’est déplacé pour nous entretenir sur l’action menée.
Martin nous rappela que depuis trois ans, l’association travaille avec les acteurs du terrain pour redynamiser les estives de Corse. Elle apporte un soutien aux transhumances par le biais de conventions avec le Parc, la Diren, les chambres d’agriculture, l’O.D.A.R.C. afin de trouver des équilibres acceptables par tous les acteurs et sortir des antagonismes.
l’A.F.P. de Lento est composée de trois collèges :
* La Commune et les propriétaires des estives ;
* Les éleveurs et les agriculteurs ;
* Enfin d’autres utilisateurs comme les Amis du Parc, les chambres d’agriculture, …
Par principe, une A.F.P., qui répond au régime juridique des associations loi de 1901, est déclarée par le Préfet après enquête publique et dans la mesure où 50% des propriétaires qui amènent 50% des surfaces sont d’accord, les autres propriétaires ont alors l’obligation d’y souscrire. Les terres sont alors louées à l’A.F.P. pour huit ans après un état des lieux et l’A.F.P. est créée pour vingt ou trente ans. Le propriétaire n’a qu’une seule voix délibérative quelle que soit la surface qu’il amène, mais il sera par contre rémunéré en proportion de son apport.
Martin porta à notre connaissance que la première A.F.P. de Corse a été créée à Ocana il y a vingt ans mais avait périclité. En 2003, par contre, l’O.D.A.R.C. a relancé cette dynamique auquel la Commune de Lento a répondu favorablement, tandis que A Muntagnera a porté le projet.
A l’échelon national, les Association Foncières Pastorales existent depuis deux siècles et sont surtout consécutives à la volonté de l’Etat de mettre en culture les terres. Même si la problématique du foncier est difficilement maîtrisable, les communes (19,ou groupement de communes) qui le souhaitent peuvent mettre en œuvre cette structure en demandant à l’O.D.A.R.C. la création d’une A.F.P. Celle-ci louera des terres et rétribuera les propriétaires, concomitamment à la mise en place d’un plan d’action avec un financement à la clé. Ainsi aujourd’hui à Lento, on trouve deux cent trente-huit propriétaires représentant deux mille deux cents hectares.
Martin insista sur le fait qu’il fallait impérativement s’inspirer des aménagements et des pratiques d’antan pour mener la politique d’aujourd’hui, comme par exemple être conscient de l’importance du maquis dans la nourriture des animaux ou le rôle central que doivent occuper la châtaigneraie et l’oliveraie, dans l’espace à reconquérir sur les terres en friches.
La Muntagnera va mettre en place un programme ambitieux d’une dizaine d’A.F.P., comme à Cristinacce, Lama et Isolacciu di Fiumorbu.
Bel exemple de réappropriation maîtrisée de ce que les Physiocrates considéraient comme seul vraie source de richesse, immense espoir de voir enrayer la désertification de l’intérieur, noble dessin de redonner ses lettres de noblesse à la terre, souhaitons bonne chance à Martin et à ses projets ambitieux.
Les Amis du Parc se saluèrent dans le crépuscule blême, pour se donner rendez-vous après le solstice d’hiver pour partager de nouvelles découvertes, dans les recoins de leur île si chère.