Conservatoire d'espaces naturels de Corse

patrimoine naturel et culturel de la Corse

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Découverte de la Balagna

Sortie Découverte - Le 28/01/2007 - Lieu : Balagna

La nouvelle année des sorties de l’Association des Amis du Parc débuta sur les hauteurs balanines, au cœur du pittoresque village de Corbara, mezzanine historique sur le bleu roi de Mare nostrum.
Ce bourg a reçu en 2004 le diplôme d’honneur décerné par la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, au titre de l’aménagement de la sacristie et du « musée du trésor » .
Corbara renferme un patrimoine religieux considérable, constitué notamment du Couvent dominicain, des Chapelles Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, de la confrérie Saint Antoine, Saint-Roch, Saints-Cipriano-et-Cornelius, Notre-Dame du Lazio et Saints-Pierre-et-Paul, autant de jalons sacrés, essaimés jadis dans le poudroiement de foi qui illumina la lumineuse Balagne.
C’est devant l’église A Nunziata, que nous attendait Michel Franceschini, adjoint délégué au patrimoine de la commune, en compagnie de sa collaboratrice Chrystelle Albertini.
Après avoir souhaité la bienvenue à la soixantaine de membres présents, Michel Franceschini, nous fit un bref rappel de l’histoire de Corbara qui est le berceau de la famille des Savelli de Guido, descendants des seigneurs de Balagne. Ceux-ci achevèrent la construction du château vers 1375, mais ce dernier fut démantelé au début du XVIe siècle par la république de Gênes. A la même époque, les Savelli restaurèrent le Castel de Guido voisin, fondé en 816 par le prince romain Guido Savelli, comte de Balagne depuis sa victoire sur les sarrasins.
On prétend que, de la terrasse de ce château en avril 1758, Pasquale Paoli décida, pour concurrencer le préside génois de Calvi, la création de l'Ile-Rousse que l’on aperçoit dans le lointain septentrional.
L’adjoint délégué au patrimoine, nous présenta ensuite l’édifice qui nous contemplait, illuminé du grand soleil d’hiver, du haut de son fronton baroque.
Cette église construite entre 1640 à 1747 et dédiée à la Nunziata fut élevée au rang de paroisse en 1810, à la place de Notre-Dame du Lazio, jugée trop éloignée.
Elle présente, sur sa façade récemment restaurée, le discours de l’annonce faite à Marie par le biais d’un dialogue qu’elle entretient avec l’archange Gabriel, tous deux enchâssés dans deux niches de part et d’autre du linteau de la porte centrale. Il est à noter un hiatus entre l’endroit que désigne l’archange et qui devrait contenir l’Esprit saint et où ne se trouve qu’un édicule ponctué d’une niche vide, et le véritable emplacement de celui-ci entre les deux protagonistes au dessus de la porte.
L’Annonciation de Corbara, élevée au rang de Collégiale par la volonté du Pape Benoît XIV le 15 mars 1752, est une reprise de Sainte Marie de Bastia, jusqu’à l’emplacement du haut clocher carré à étages et surmonté d'une coupole hexagonale coiffée d'un lanternon.
Un patricien toscan, Pietro Cortesi, installe le maître autel en marbre blanc de Carrare en 1747, représentant le Sauveur tenant sa Croix de la main gauche et brandissant de sa main droite un faisceau de verges à l'attention des profanateurs. Au dessus, trône un dais datant de 1752 et représentant l’Arche de Noé.
Ce même maître italien procède également en 1750 à une clôture du cœur par une balustrade en marbre elle aussi, comportant deux anges porte-candélabres.
La nef est distribuée dans sa partie gauche et en se dirigeant vers l’autel majeur, par le baptistère provenant de l'ancienne église Santa Lucia, l’autel Saint Jacques, l’autel de la remise du Rosaire et l’autel de N.D. du Mont Carmel. Le même cheminement d’un regard dextre, permet d’admirer successivement l’autel des âmes du Purgatoire, l’autel de la Sainte Trinité et l’autel de l’Annonciation. Ces chefs d’œuvre en marbre ou en stuc, tous ornés de toiles de l’école italienne de Gênes, sont en cours de restauration par le biais de l'association Sant'Antone Abbate qui entreprend de réunir les fonds nécessaires à la renaissance de ces merveilles, pour la plupart classées.
Derrière l’autel majeur, il nous fut loisible d’admirer les stalles des chanoines qui se trouvaient être au nombre de huit vers 1770. Dans la nef, une chaire datant de 1750 artistiquement enchevêtrée de bois d’olivier, de genévrier et de buis qui lui donne un aspect étonnamment polychrome, est dotée d’un bras de Dieu tenant un crucifix, le tout surmonté d’un abat-voix merveilleusement sculpté et destiné à faire redescendre le prêche sur la foule des fidèles.
Un orgue, à la tribune en forme de conque marine, de facture italienne enfermé dans un buffet polychrome de 1750 et rénové en 1979, œuvres des facteurs Agati-Tronci de Ville di Paraso, trône au dessus de la porte d’entrée.
On peut y remarquer des organetti morti, rangées de petits tuyaux factices situés en haut des façades et uniquement destinés à la décoration. Les volets portent le nom de Geronimi et la date de 1819. Quant au buffet, peint sur toile par Gabarini également en 1819, il représente d’un côté un roi David jouant du luth et de l’autre une Sainte Cécile (19,patronne des musiciens) jouant de l’orgue et dont les traits seraient ceux de Davia, jeune femme originaire de Corbara, enlevée par les barbaresques et devenue sultane du Maroc au XVIIIème siècle.
On nous fit visiter les deux salles de l’ancienne sacristie renfermant depuis juillet 2003 une superbe collection constituée de 152 pièces de vêtements sacerdotaux allant du XVIème siècle à nos jours : chasubles, étoles, chapes, nappes d’autel dont certains cousus de fil d’or et d’argent, sont conservés dans de superbes buffets polychromes et sont restaurés au fur et à mesure des possibilités des conservateurs. On notera également la présence d’un admirable ensemble d’ostensoirs, de crucifix, de ciboires, de calices, de coupes, de goupillons, de missels, de bréviaires et diverses pièces d’orfèvrerie dont neuf œuvres estampillées du maître florentin Torette.
A l’issue d’une passionnante découverte de ces saints lieux, Michel Franceschini nous interpréta quelques œuvres sur l’orgue, qui se réveilla alors, comme pour refermer majestueusement les vantaux de la Collégiale d’un lent mouvement solennel.

Après le déjeuner, une visite guidée nous conduisit à travers un lacis de ruelles pittoresques jusqu’au Castel de Guido, d’où le regard embrasse une immensité de champs d’olivier, de criques éternellement ourlées de l’écume méditerranéenne, de sommets enneigés et d’oppidums où poussèrent les autres villages de cette envoûtante Balagne.
Michel Franceschini nous présenta un terrain attenant à l'église qui accueillera prochainement un centre touristico-culturel. C’est dans ce lieu d'échanges doté d’une bibliothèque et salle de réunion que se tiendront des conférences ou que l’on accueillera des associations culturelles comme « A memoria di u seculu » qui travaille à l'élaboration d'une monographie sur la vie du village au XXème siècle, et « A Balagna antica » qui propose des conférences à partir de recherches historiques sur notre région.
Deux autres projets sont en cours : la restauration du couvent qui appartient à la commune et qui se révèle nécessaire pour répondre à des exigences de conformité et d’amélioration des capacités d'accueil et la réhabilitation d’anciens sentiers pour leur donner une vocation de randonnées mettant en valeur le patrimoine communale constitué notamment de ses lavoirs et de ses fontaines comme celles de Leccia et de Saligrasti datant du XVIème et XVIIème siècles.


Prenant congé de nos hôtes, nous nous transportâmes à la coopérative oléicole de Balagne : « U mulinu di u pratu», située sur la route nationale en direction d’Algajola.
Nous y attendait son Président René Colombani qui nous fit visiter l’entreprise.
Cette unité moderne, entièrement automatisée regroupe une centaine d’oléiculteurs de la région et produit un volume oscillant entre 40.000 et 20.000 litres suivant les années.
La production est commercialisée essentiellement sur l’île, mais une partie est tout de même exportée dans des pays comme le Japon ou les Etats-Unis !
Selon René Colombani, la sécheresse serait responsable de la baisse de production qui, rappelons-le, était supérieure à la production de l’ensemble de la métropole dans l’immédiat après-guerre.
Pour faire face à cette pénurie, un plan de relance a vu le jour en 1978 où l’on a planté 450 hectares de variétés locales d’olives et l’on atteint aujourd’hui une surface exploitée de 1.980 hectares, soit le triple de celle d’il y a dix-huit ans.
L’oléiculture s’inscrit dans une double problématique : elle nécessite des terres irrigables ce qui -en ces périodes de sécheresse- peut sembler une gageure et devrait, modulo une bonne gestion des sols aux alentours des arbres, constituer d’excellents pare-feux naturels.
Une pose de filets récolteurs en hauteur sur les troncs, permettrait aux animaux de pacager en toute facilité et contribuerait à l’effet vertueux recherché.
En redéfinissant la place de l’agriculture et de l’oléiculture au cœur de la problématique des incendies, par le biais de mesures simples et peu coûteuses, l’on pourrait agir efficacement pour enrayer cette calamité cyclique. C’est pour cela que le récent Plan Local de Prévention des Incendies s’appuie sur les terres agricoles.
A ce sujet, lire notre article dans la rubrique Actualités/le point sur…/Incendie de Calenzana 2005.
Dans la coopérative visitée, l’intégralité des olives est cueillie directement sur les arbres par le truchement de machines, que la coopérative commercialise également, qui après avoir agrippé les branches maîtresses produisent une vibration occasionnant la chute des fruits dans des filets, immédiatement déplacés au fur et à mesure de la récolte.
Les olives recueillies, sont portées à la coopérative où elles sont pesées, effeuillées, lavées, broyées puis malaxées. La pâte est ensuite portée à une température d’environ 30 °C et pressée. Après décantation, l’huile et la pâte sont séparées par centrifugation et d’un côté l’huile sera stockée dans d’énormes cuves en inox de 12.000 litres pour décantage et de l’autre la pâte fournira un excellent engrais naturel.
La demande de reconnaissance en Appellation d'Origine Contrôlée « huile d'Olive de Corse » ou « Oliu di Corsica » déposée en 2001 par le Syndicat Interprofessionnel des oléiculteurs de Corse a enfin abouti. De ce fait, le degré d'acidité des huiles AOC ne devra pas excéder 1,5 %
Désormais l'ancienneté du produit, son lien au terroir, les savoirs faire, les traditions, liés à sa fabrication et à son utilisation ont été mis en évidence et reconnus.
L'Oliu di Corsica, l'huile d'olive de Corse AOC sera produite uniquement avec des variétés anciennes : Sabina, Ghjermana di Balagna, Ghjermana d'Alta Rocca, Zinzala, Capanacce, Curtinese, Raspulata.
Les variétés étrangères implantées avant 2000 doivent être remplacées progressivement, dans un délai de vingt-cinq ans, par des variétés traditionnelles. Les olives doivent être cueillies noires de préférence, seule une faible proportion d'olives vertes est autorisée (19,20% maximum).
La durée de conservation des olives après la récolte ne doit pas dépasser sept jours, mais gage de qualité, U mulinu di u pratu met un point d’honneur à traiter toujours la cueillette dans la journée.
Avant de prendre congé, nous eûmes le privilège de goûter diverses variétés qui présentent pour un connaisseur la même palette de diversité que celle offerte par la science œnologique et les yeux encore éblouis par les trésors de la Collégiale, le palais flatté par les fragrances fruitées de la Balagne, les membres de l’association se dispersèrent dans le crépuscule vermeil de l’endormissement de la Méditerranée.