Conservatoire d'espaces naturels de Corse

patrimoine naturel et culturel de la Corse

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Découverte des églises de Balagne et de leurs orgues

Sortie Découverte - Le 29/06/2008 - Lieu : Balagne


Bravant les premières chaleurs déjà alanguies dès potron-minet sur les contreforts balanins, les Amis du Parc s’étaient donnés rendez-vous, pour cette dernière sortie précédant la pause estivale, devant l’église de Costa enchâssée dans le chaton de piété du vieux village.
l'Eglise paroissiale San Salvatore, élevée au 18ème siècle dans le style baroque, renferme nombre d’œuvres d’art dont une chaire en bois polychrome de Gavarini. Directement attenante à l'église, la Confrérie du Rosaire possède de remarquables stalles en bois, ainsi qu'un autel en stuc réalisé en 1730.

Elisabeth Pardon, animatrice de l'Association Saladini qui propose depuis 1999 ses journées de « la Montagne des Orgues » participant activement à la reconnaissance et à la valorisation du patrimoine de la Corse, nous y attendait pour nous entretenir de cette église datant de la Contre-Réforme, période où la religion catholique voulait récupérer les ouailles tentées par le protestantisme. Il faut se rappeler que le Concile de Trente qui débuta en 1545, l’un des plus importants de l'histoire du catholicisme, entend apporter une réponse aux progrès de la Réforme protestante. Au-delà des messages religieux accessibles aux seuls érudits, le clergé catholique espère impressionner le petit peuple par le caractère ostentatoire des décors : profusion de stuc, d’autels de dévotion, de fresques chatoyantes, de peintures lumineuses, de colonnes torses, d’un artifice de polychromies et de polyphonies où la musique des orgues apaisent la dureté des temps et élèvent les âmes vers le salut. Sur le parvis de l’église, Elisabeth avec sa passion coutumière et son sens imagé du récit entraîna quelques instants les Amis du Parc dans la Corse oubliée du 18ème, où régnait une émulation voire une rivalité entre les pieuses communautés villageoises, qui voulaient avoir la plus magnifique église, les plus belles orgues. Au siècle suivant, à la Révolution, beaucoup de biens cléricaux sont détruits et avec eux des orgues périssent, certaines sont sauvées en les ôtant des couvents pour les mettre dans les églises. Ce fut le cas pour l’instrument que nous contemplâmes en rentrant dans l’édifice. C’est un orgue italien anonyme a un seul clavier « ripieno » où l’on reconnaît la facture de réparation de Saladini au 19ème avant qu’il ne soit encore une fois restauré en 2004.
Joignant le geste à la parole, Elisabeth gravit le minuscule escalier dissimulé dans la tribune pour se mettre pour notre plus grand plaisir au clavier de l’instrument. Les murs résonnèrent au souffle puissant des tuyauteries, les harmonies s’élevèrent au-delà de la voûte vers les cieux, emportant avec elles l’émotion sincère des auditeurs.
Quand les orgues se turent, l’heure des nourritures terrestres avait sonné dans bon nombre d’estomacs et nous prîmes la direction du couvent de Tuani, pour une collation à l’ombre centenaire des arbres de l’esplanade. Apaisés par la fraîcheur des lieux, nous rendîmes grâce à ce havre de paix fondé en 1494 par les Franciscains qui le quittèrent en 1789 pour ne plus y revenir. Bien plus tard, en 1869 des Capucins en prirent possession jusqu'en 1967, date de sa fermeture canonique.

La procession des Amis du Parc au cœur de la Balagne était loin d’être terminée et le cortège s’enfonça toujours plus dans les terres dans la direction de Speloncato.
Petit rappel historique : en 1750, le village, peuplée d’environ 750 âmes, était divisée en deux paroisses, celles de Sainte-Catherine et de Saint- Michel Archange. L’urbanisation aidant, la division en deux paroisses était devenue anachronique et on décida, avec l’accord de tout le clergé, de fondre les deux en une collégiale qui aurait son siège en l’église Saint-Michel, plus vaste que Sainte-Catherine. L’avantage d’une collégiale, en ces temps où chaque église possédait un revenu sonnant et trébuchant était également de bénéficier de quelques prêtres supplémentaires, devenus chanoines, en plus des deux initiaux. Après de nombreuses péripéties et requêtes adressées aux cardinaux et au pape, une bulle papal fut expédiée de Rome dans les premiers jours de janvier 1750 et le nouveau titre del’Assomption « Nostra Signora Assonta al Cielo » remplaça celui de Saint-Michel et Speloncato devint collegiale, tout comme Luri, Corbara et Calenzana. Le premier souci du collège des chanoines sera d’embellir l’Assomption « pour la plus grande gloire de dieu et le bonheur des hommes ». On démolit l’oratoire de Saint-Antoine-Abbé, côté droit, pour ajouter deux collatéraux et on installa d’autres autels latéraux dès 1750/60 pour un résultat prestigieux. Monsieur Paul Giuliani, Président de l’Association Saladini, vint nous entretenir de l’histoire du village et des trésors contenus dans l’édifice comprenant notamment au dessus de l’entrée, un chef d’œuvre, l’orgue de Giovanni Crudeli datant de 1810, dont la tribune en bois galbé d'Anton Giuseppe Saladini et le décor peint de Grunwaldo Grafini furent exécutés en 1821, sans oublier la récente restauration par Antoine Massoni en 1992.
Et dans le silence apaisant, une toccata et fugue du 17ème, agrémentés du chant d’Elisabeth, concédèrent une touche harmonique et aérienne à la majesté de la nef…
L’écho d’un Sol grave se perdait encore dans la vallée, que les Amis du Parc étaient déjà en route pour la station suivante : Muro et son Eglise de l'Annonciation

La bâtisse est bel exemple de l’art du discours de la Contre-Réforme. Tout y est luxe, calme et profusion ostentatoire de décors. Elle comprend même, de part et d’autres du cœur, des loges pour les chantres et que dire des vitraux de superbe facture qui transfigurent les fresques de la coupole !
Chapelles, autels, chaire, marbres, stucs, dorures, peintures, tout concoure à magnifier la gloire du Tout Puissant à ce peuple humble et croyant qui se saignait pour que son église soit la plus belle ! L’orgue, due à un facteur toscan originaire de Pistoia, Tomaso Pagnini, qui termina son chef-d’œuvre en 1797, est portée par une belle tribune délicatement décorée.
C’est à cette occasion qu’apparaît pour la première fois dans le monde de l’orgue corse le nom d’Anton Giuseppe Saladini : cet ébéniste talentueux de Speloncato qui parachève le buffet. Deux autres restaurations furent entreprises par Agati-Tronci en 1878 et Jean-François Muno en 1982. L’instrument est une merveille de créativité et de savoir-faire, avec sa tribune galbée dotée de volets grillagés derrière lesquels Elisabeth interpréta des œuvres de Bach pour la plus grande édification des pauvres pécheurs de l’Association.
Il restait une étape à notre chemin de foi et non des moindres la Trinité d’Aregno. !

La chapelle de la Trinité d'Aregno est sans conteste l'un des plus beaux exemples de l'art roman pisan, qui fleurit en Corse aux XIIe-XIIIe siècles.
Ces chefs-d'œuvre sont l'œuvre de la république pisane qui reconstruisit l'île dévastée par les barbares. Les plans sobres et les façades polychromes, la statuaire rudimentaire et les fresques colorées plus tardives qui décorent certaines d'entre elles, procurent un émerveillement subtil et inattendu. La façade polychrome en granit étonne le visiteur déjà par ses trois statuettes primitives : d’abord deux personnages de part et d’autre de la porte représentant certainement le pouvoir religieux et le pouvoir profane et tout en haut, sur le fronton, le tireur d’épine s’enlevant les péchés du monde. La dichromie granit noir/granit gris s’étale avec fantaisie sur les murs , les façades latérales présentent des corniches en arcatures reposant sur des modillons, prolongés une fois sur quatre par des pilastres. Elisabeth, dans une ronde érudite autour de la bâtisse nous fit remarquer mille détails architecturaux et notamment sur les modillons représentant un bestiaire des plus étranges : sirènes à double queue, paons, ours, loups, serpents. Nous eûmes le privilège de pénétrer à l’intérieur pour admirer entre autres merveilles, les deux fresques grandioses qui se font face au dessus de l’autel, la première est un Saint Michel pesant les âmes et terrassant le dragon qui date de 1449, la seconde représente les quatre docteurs de l’église latine : Augustin, Grégoire, Ambroise & Jérôme et remonte à 1488.

Nous prîmes, à regret, congé d’Elisabeth qui tout au long de ce jour laissa une traînée de croches et de doubles croches sur la portée sinueuse des routes, tandis que les blanches et noires se posèrent sur les campaniles où elles résonnèrent en harmonie avec le bronze des cloches et que les rondes accompagnées du cortège servile des dièses et bémols fusionnèrent dans l’ocre des fresques sous les regards complices des Saints.
Et bon nombre d’Amis du Parc, quand ils franchirent au retour les portes de l’Ostriconi, ne purent s’empêcher de penser à ces trois exceptions de la langue française, qui, tout comme Elisabeth, relèvent du féminin pluriel : amours, délices et … orgues !